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à demeure sur les autels, n’étaient jamais ni déplacés ni transportés au dehors ; les seconds circulaient entre les églises affiliées à une même association mystique pour faire connaître annuellement le nom des morts ; les troisièmes étaient expédiés au décès de chaque frère, pour réclamer en sa faveur l’intercession de tous les associés. Lorsqu’il s’agissait d’un simple religieux, la formule était très concise : — Un tel, enfant de notre congrégation ; est mort ; nous réclamons vos prières pour son ame, et, de notre côté, nous prierons pour vous. — Lorsqu’il s’agissait d’un grand personnage, d’un homme éminent en dignités ou en vertus, le rouleau déployait toutes les pompes du style, et souvent même on l’illustrait de dessins. Le soin de rédiger l’article nécrologique était confié aux plumes les plus habiles, et, quand cet article avait reçu l’approbation générale, on le remettait à un messager qui allait d’église en église, de monastère en monastère, emportant suspendue à son cou la funèbre encyclique. Le voyage du porte-rouleau durait souvent une année tout entière. Quand il arrivait dans un couvent, on le recevait avec la plus grande bienveillance, on le faisait bien boire et bien manger, on lui donnait un peu d’argent, et, lorsque la communauté avait pris connaissance de sa missive, elles s’assemblait pour célébrer l’office des morts en mémoire de ceux qui lui étaient recommandés. Ce n’est point seulement sous le rapport des mœurs, mais aussi sous le rapport littéraire, que les rouleaux présentent un véritable intérêt, car on y rencontre, outre des déclamations mystiques, un certain nombre de morceaux de poésie, dont quelques-uns ont été composés par des femmes. M. de Formeville remarque à cette occasion qu’une seule femme, Héloïse, a su, dans le moyen-âge, tourner agréablement le vers latin, et si nous avions voix délibérative dans l’institution tant soit peu décrépite des concours universitaires, nous donnerions comme matière de prix quelqu’un des sujets traités par l’abbesse du Paraclet. Il serait piquant de mettre aux prises la muse la plus aimable, la plus aimante et la plus aimée du XIIe siècle, avec la muse du pensum et le latin fantaisiste de l’université du XIXe siècle.

La publication des documens dans la même spécialité a marché de front avec celle des travaux originaux, et c’est à un érudit d’Évreux, M. Théodose Bonnin, que l’on doit le plus curieux de ces documens, le Journal des visites pastorales d’Eudes Rigaud, qui occupa le siège archiépiscopal de Rouen au XIIIe siècle, et qui jouit auprès de saint Louis de la plus haute faveur. Ce que fit le saint roi pour la réforme des mœurs publiques, Eudes Rigaud le tenta pour la discipline ecclésiastique. Chrétien austère, il voulait faire régner dans les couvens la régularité imposée par les fondateurs des ordres religieux et ramener à la perfection primitive des institutions qui, dès le siècle suivant, allaient marcher rapidement vers la décadence. Rigaud, qui savait que la vigilance est l’un des premiers devoirs d’un pasteur, faisait de nombreuses visites dans les communautés soumises à sa juridiction ; il y procédait à de sévères enquêtes, et consignait de sa propre main les résultats de ces enquêtes sur un journal intitulé : Regestrum visitationum. Ce journal, qui va de 1248 à 1269, contient sur les maisons religieuses de la Normandie les plus curieux détails. Ces maisons, au nombre de deux cents, renfermaient deux mille trois cent quatre-vingt-six personnes ; mais, comme ce nombre n’est indiqué qu’une seule fois, et que le registre des visites comprend une période de vingt et