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élevée que nous cherchions. L’Allemagne elle-même semble appeler ardemment un juge dont elle sent que le concours lui serait plus que jamais nécessaire, et, quels que soient les obstacles opposés à une parole indépendante par le nombre et l’organisation des coteries littéraires, le sentiment public, je n’en doute pas, lui rendrait la tâche facile. On a beaucoup parlé depuis un an des travaux critiques de M. Julien Schmidt, des espérances qu’il a données. Julien Schmidt a une part considérable dans la direction d’un recueil qui vient de se transformer récemment, et qui aspire à une sérieuse influence. Le Messager des frontières (Die Grenzboten), c’est l’œuvre dont il est question, a pour but de fonder une école intelligente, sympathique, honnête, tout-à-fait opposée aux coteries exclusives et aux partis violens, une école dont le programme soit conforme à la raison générale du XIXe siècle. Ce recueil n’a pas encore réalisé ses promesses ; il a montré jusqu’ici plus de bonne volonté que de force, plus de facilité courante que de résolution et de netteté. Ses doctrines n’ont rien de très précis ; il paraît s’en tenir à des principes vagues ; il admet maintes choses très opposées avec la plus conciliante largeur, disposition excellente assurément pour ce qui est de simple littérature, funeste dans tout ce qui concerne la vérité morale. Sans doute, à n’en considérer que le programme, à ne lire qu’un certain nombre des travaux publiés, le recueil de M. Julien Schmidt soit satisfaire les esprits sages, modérés, ceux qu’on appelle en tout lieu les honnêtes gens ; il repousse le matérialisme, et il aime la liberté. À propos du tour d’imagination propre à M. Victor Hugo, il dénonce en Allemagne et jusqu’en Angleterre les imitateurs du romantisme démagogique, et s’écrie sans hésiter : « C’est à la critique des trois nations de poursuivre ce matérialisme sans cœur, et dans le domaine de l’art et sur le théâtre de la vie. » Voyez cependant combien les idées fausses sont répandues en Allemagne, chez ceux-là même qui se croient le mieux armés pour les combattre ! M. Julien Schmidt a écrit un livre où il expose longuement les principes de sa critique ; ce livre a été publié il y a deux ans ; il a réussi, et la seconde édition vient de paraître. Or, dans ce manifeste accueilli avec faveur et qui doit contenir l’esprit de la nouvelle école, l’auteur est visiblement en proie à tous les maux intellectuels qu’il s’est chargé de guérir. Confusion d’idées, barbarie de style, manie effrénée de systèmes, panthéisme à l’état latent partout où il ne se produit pas le front haut, voilà les vices propagés en Allemagne par les excès d’une philosophie indigne de ce nom. Eh bien ! on retrouve avec tristesse quelque chose de tout cela dans l’ouvrage de M. Schmidt. Les bévues mêmes sont d’une nature si étrange, qu’il ne me serait pas venu à la pensée de les relever ici sans la position que l’auteur s’est faite dans la littérature de son pays ; mais le silence est impossible. : il s’agit d’un critique respecté, d’un esprit sérieux animé d’intentions droites, d’un homme qui ne ménage pas la vérité à ses justiciables ; cette vérité, M. Julien Schmidt saura l’entendre pour son propre compte, et peut-être alors deviendra-t-il plus défiant, peut-être sera-t-il plus attentif aux périls d’une situation qui a pu engager dans de telles erreurs une intelligence comme la sienne.

Cet ouvrage est une histoire littéraire des trois derniers siècles, une histoire où l’auteur a essayé de ramener tous les faits sous la loi de l’unité, de les présenter comme les différentes phases d’un seul problème philosophique, comme