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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1113

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dans les enfers, il le montre, l’épée à la main, écartant sans pitié toutes les ombres qui arrêteraient sa marche ; ainsi doit faire la critique au milieu des folles erreurs, au milieu des utopies et des billevesées qui nous obsèdent, pour accomplir une telle tâche vouloir ne suffit pas ; il faut aussi voir clair. La clarté de l’esprit, voilà l’épée redoutable qui disperse les fantômes.

S’il est des critiques pleins de résolution et de courage qui n’ont pas su se débrouiller encore, il en est d’autres à qui ce n’est pas la netteté qui fait défaut, mais la ferme volonté d’employer efficacement cette faculté précieuse. M. Gustave Kühne n’a pas de prétentions fausses ; c’est un esprit fin, délié, pénétrant. Bien loin de se guinder avec effort pour ajouter une nouvelle métaphysique à toutes celles qu’a fabriquées l’Allemagne, il s’attache à la réalité ; il aime les biographies, les portraits bien dessinés les lignes précises et qui se rayent dans l’esprit M. Henri Heine disait à propos de je ne sais quel écrivain de son pays « C’est en habitant la France qu’il a appris l’allemand. » Ce mot n’est pas une de ces boutades anti-germaniques comme il en échappe tant à la verve intarissable du brillant poète ; il y a là-dessous une observation très sérieuse. Les plus grands écrivains de l’Allemagne, ceux qui ont le plus heureusement modifié son idiome, ont puisé dans leurs communications avec nous un singulier amour de la clarté. Ce que la Grèce a fait dans ses rapports avec l’ancienne Égypte, la France l’a fait plus d’une fois avec l’Allemagne. C’est la Grèce, dit Olympiodore, qui a délié les pieds des statues égyptiennes ; c’est l’étude de nos grands prosateurs qui a formé la langue de Goethe. Quand on passe de M. Julien Schmidt à M. Gustave Kühne, on va d’Égypte en Grèce ; on quitte la confusion naturelle des langues germaniques pour un idiome pur et limpide. Prenons garde toutefois ; depuis que l’Allemagne semble se renier elle-même, il y a une école qui est venue nous emprunter, non plus ce vernis des maîtres qu’on appelle la netteté, mais la fausse désinvolture, la légèreté de mauvais aloi, particulières aux littératures en décadence. M. Gustave Kühne est aussi éloigné de cette élégance menteuse que de l’emphase embrouillée des pédans. Comme peintre de portraits, il rappelle çà et là M. Sainte-Beuve ; il poursuit avidement la vérité, et il a une aversion d’instinct pour les exagérations des partis. Voila dispositions parfaites ; que manque-t-il donc à M. Gustave Kühne pour qu’il puisse donner à l’Allemagne ce vigilant gardien littéraire dont je viens de déplorer l’absence ? Ce qui manque à M. Gustave Kühne, c’est la constance, l’inspiration de tous les jours, la foi dans une mission ardemment acceptée et courageusement poursuivie ; c’est tout ce qui sépare le vrai critique du littérateur amusé et curieux, ce qui donne, en un mot, cette chose si difficile à acquérir et qu’il faut sans cesse défendre, l’autorité.

Il y a cependant une inspiration plus forte et plus suivie que d’ordinaire dans le nouveau volume de M. Gustave Kühne. En dessinant les derniers portraits qu’il vient de livrer au public, il a été soutenu par une pensée morale : tantôt il a voulu défendre certaines natures graves et modestes contre un dénigrement injuste, tantôt il a eu le désir d’opposer aux utopie désordonnées de ce temps-ci le tableau d’une ame d’élite, qui en est comme la réfutation vivante. Cette bonne pensée assure au travail de M. Kühne une valeur réelle, et nous permet d’être désormais plus exigeant avec lui. Une période nouvelle commence peut-être pour le critique ; nous voudrions ne pas nous