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a offert plus d’un exemple ! Goethe, dans sa robuste et égoïste santé, éprouvait une horreur profonde pour ces infirmités de l’ame. Odiosa sunt restringenda, c’était là, on le sait, la pratique de sa vie : Hoelderlin et Henri de Kleist lui faisaient peur. Le devoir de la critique est exactement le contraire de cette morale impie ; homo sum, voilà sa devise, et rien de ce qui concerne l’esprit et l’ame ne doit lui être étranger. S’il est bien cependant de s’associer à ces infortunes douloureuses et de les décrire avec émotion, il ne faut pas oublier non plus d’en dégager les leçons qu’elles contiennent ! c’est là le vrai but, c’est là le profit sérieux de pareilles études, et M. Gustave Kühne devrait y songer plus souvent.

Le groupe de portraits qui suit n’offre plus que de sereines images. Aux souffrances morales succède le spectacle de la vertu paisible, aux combats des facultés mal conduites la gracieuse harmonie de l’intelligence et du cœur. Je recommande la toile discrète où l’auteur nous peint Elisabeth de Stägemann. Taceat mulier in ecclesia, disait l’antique maxime ; le génie n’a point de sexe, a répondu l’orgueilleux désordre de notre temps, et nous avons vu se lever, en effet, toute une phalange de génies équivoques, révoltés contre la mère nature. Le meilleur moyen de d’accréditer ce qu’une école grotesque a appelé l’émancipation de la femme, c’est d’opposer aux héroïnes de l’émancipation les nobles personnes qui ont su maîtriser et faire tourner à l’accomplissement du devoir des facultés supérieures. Parmi celles-là, il y a une bien charmante place pour cette Élisabeth Graun, si aimée de Frédéric de Gentz et du de c Louis d’Holstein, qui devint la femme du poète Auguste de Stägemann. Ses Souvenirs contiennent toute une philosophie morale où la grace exquise s’unit toujours à la solidité de la raison. À côté de l’audacieuse imagination de Rahel ; à côté de la fantaisie capricieuse de Bettina, le caractère élevé, la force contenue d’Elisabeth forme, dans l’histoire de la société allemande, une apparition originale ; M. Gustave Kühne ne craint pas de la célébrer comme l’institutrice de la femme. Ce sont aussi des instituteurs et des maîtres qui terminent la galerie, les instituteurs du peuple des campagnes. Zsdhokke, Pestalozzi, Frédéric Frochel, sont trois physionomies excellentes que le peintre a bien placées dans le jour qui leur convient. Les écrits populaires de Zschokke, ses nouvelles, ses histoires, ses journaux, ses prédications sous toutes les formes, ont exercé et exercent encore une influence singulière en Suisse et en Allemagne. Schokke offre le rare exemple d’une fortune littéraire qui s’est constituée toute seule. Cet écrivain, l’un des plus répandus qu’il y ait, l’un de ceux qui sont entrés le plus profondément dans le peuple, n’a presque jamais attiré l’attention de la critique. Lui-même ne s’en croyait pas digne « Je ne sais pas écrire, » disait-il, et, pendant près d’un demi-siècle, cet ignorant, soutenu par une inspiration saine et mâle qui vaut toujours mieux que la science, a charmé, éclairé, transformé les classes ouvrières de son pays. Il est vrai qu’il ne faut pas prendre trop à la lettre cet aveu d’ignorance échappé à Zschokke ; comme artiste, comme historien, comme publiciste même, il savait tout ce qu’il lui était nécessaire de savoir ; la droiture de son esprit lui faisait rejeter tout le reste, et ce fut là le secret de sa force. L’étude sur Pestalozzi est un peu maigre ; l’auteur, en regardant les choses de plus près, aurait pu y trouver une matière plus ample et de curieux sujets d’instruction. J’en dirai autant du portrait de Frédéric