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l’élection directe. Le radicalisme demeura long-temps à l’état de théorie ; ceux-là même qui l’adoptaient comme un instrument propre à favoriser leurs vues ambitieuses, une fois arrivés au pouvoir, reculaient devant les conséquences pratiques de ses principes. L’esprit de nationalité dominait d’ailleurs trop fortement pour laisser accès à cette espèce de cosmopolitisme qui est le cachet du vrai parti radical. La solidarité des peuples, la démocratie européenne, excitaient peu d’intérêt chez les révolutionnaires des cantons allemands, tout préoccupés de questions locales et d’intérêts purement nationaux. L’origine de la plupart de leurs querelles et de leurs luttes intestines se trouverait plutôt dans l’histoire de leurs anciennes dissensions. On peut dire même que sous les questions en apparence les plus brûlantes se trouve presque toujours un vieux levain d’antagonisme religieux ou féodal qui n’a guère de rapport avec les débats de la politique contemporaine. Ainsi la ligue du Sonderbund n’était qu’une nouvelle tentative des cantons de la Suisse primitive pour ressaisir l’influence que leur a fait perdre le développement matériel et intellectuel de leurs frères cadets qui, admis les derniers dans l’alliance, sont devenus les premiers en richesses, en savoir et en puissance. Il s’y mêlait également une animosité religieuse de date non moins ancienne. C’était la Suisse catholique se coalisant de nouveau contre la Suisse protestante. De là l’enthousiasme avec lequel certains cantons, tels que Berne et Zurich en particulier, s’armèrent pour combattre le Sonderbund, par des corps-francs d’abord, puis en mettant sur pied de nombreux bataillons, lorsque la diète eut décrété l’expulsion des jésuites. Zurich avait encore sur le cœur la bataille de Cappel, où son réformateur avait été tué ; les armes d’Ulrich Zwingli, suspendues dans l’arsenal de Lucerne, étaient à ses yeux un motif de guerre certainement aussi plausible pour le moins que la présence de cinq ou six jésuites chargés d’enseigner la jeunesse. Berne avait d’autres griefs du même genre, et les divers cantons qui rayonnent autour de ces deux états principaux pouvaient se rappeler que durant des siècles ils eurent pour ennemis ou pour maîtres les premiers fondateurs de l’alliance helvétique. Sans doute l’importance attribuée plus tard à la campagne du Sonderbund, le retentissement extraordinaire que la victoire du général Dufour eut dans les pays étrangers, excitèrent bien quelque émotion en Suisse ; mais les cantons allemands en furent assez peu remués, et ne se montrèrent point désireux de jouer le rôle que le radicalisme européen prétendait leur imposer.

Cependant, quoique la propagande révolutionnaire n’ait pas complètement réussi dans les cantons allemands, elle y a exercé néanmoins une influence funeste aux mœurs et au caractère républicains. En portant une grave atteinte à l’influence des classes supérieures, elle a agi un peu comme ces gouvernemens despotiques qui cherchent une illusoire garantie de puissance dans l’affaiblissement de l’aristocratie qui les entoure. Parmi les classes inférieures, c’est aux mœurs surtout que le radicalisme s’est attaqué[1]. Les souvenirs d’un long

  1. En 1843, le professeur A.-E. Cherbuliez, auteur d’un écrit intitulé la Démocratie en Suisse, signalait déjà cette funeste action du radicalisme. En parlant de l’extension exagérée du principe démocratique, il disait : « Cet éveil et cet essor donnés en même temps à des instincts pervers ou ignobles sont particulièrement dangereux dans un paya tel que la Suisse, où la poursuite des intérêts privés offre si peu de carrières capables d’absorber les facultés actives de ceux qui les embrassent, où il reste tant de loisir aux hommes les plus strictement obligés, par leur position, de se livrer à une telle poursuite… Lorsque, après avoir habité les principaux théâtres de l’industrie européenne, on traverse les petites villes et les campagnes de la Suisse, on se demande quel usage peut faire ce peuple inoccupé de l’immense liberté que lui assurent ses lois. Hélas ! plus d’une fois le tocsin d’alarme et les hurlemens de l’émeute se sont chargés de faire la réponse ! »