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sa fraîche plaine, à l’ombre « des rocs d’argent soudés au ciel ; » — Bayonne, la ville hospitalière avec sa citadelle et ses fossés, au fond desquels « attend la mort qui a faim, » et Marseille, la ville grecque qui se baigne dans la mer demoiselle que « l’hirondelle franchit en un jour sans fatigue. » Chacune de ces villes a fêté le poète. Et quel est le but, pensez-vous, de ces pèlerinages ? Est-ce uniquement la gloire que l’auteur de Marthe a en vue ? Non, certes. Est-ce pour en retirer quelque fruit ? Vous le connaissez mal. Une sorte de généreux et naïf amour du bien se mêle à la passion de la gloire dans cette muse heureuse de vivre et de se produire. La charité est l’inspiratrice de ces courses poétiques qui ont pour but : — ici d’aider à la création de crèches ou de salles d’asile, — là de secourir quelque infortune privée, — plus loin de mettre en réserve un peu de cette manne du pauvre qui prévient à temps les irritations de la faine. Là, au milieu de ces réunions immenses, de ces populations accourues à sa voix, Jasmin à l’aise, sans affectation, sans amertume surtout, réalise bien mieux que tous les pacificateurs furieux les rapprochemens possibles, en attirant sans cesse l’œil du riche sur ceux qui souffrent, en montrant aux pauvres la charité vigilante et active. Aux premiers il dit, comme hier encore : « Riches, qui veut du miel doit protéger l’abeille ; qui bêche l’arbre au pied en fait fleurir la cime ! » Aux seconds il dit, comme dans les Prophètes menteurs : « Voyez, les riches se font meilleurs ! » et il met la gloire du peuple « à garder à l’abri du mal sa belle page blanche. » Chacun des actes, chacune des inspirations de l’auteur de Marthe est le commentaire de la pensée qui inaugure magnifiquement son premier morceau sur la Caritat. « Parce qu’on voit sur la mer de grandes maisons voyageuses glisser sur l’eau morte ou sur le flot courroucé, et dans un autre monde emporter l’homme hardi ; parce qu’on voit des gens voyager dans les airs, des savans illustrer les siècles qui s’en vont, l’homme crie sans cesse : Dieu ! que l’homme est grand ! — Bon Dieu ! qu’il est petit au contraire ! qu’il apprenne que, s’il a du génie, le génie n’est rien sans la bonté. Sans la bonté, ici, pas de grandeur qui tienne… » Il y a quelques jours encore, Jasmin, tout occupé de l’impression de ce présent livre, était appelé à Toulouse pour prêter son aide à l’œuvre de saint Vincent de Paul, et il accourait pour chanter, au milieu de six mille personnes, le grand saint dans une poésie vraie, humaine, et qui ne descendait à flatter aucune passion. « Qu’on détrône les rois, disait-il, qu’on nivelle fortune et rangs : le lendemain il y aura des pauvres sur la terre, et la charité sera reine en tout temps… » A quoi il ajoutait spirituellement qu’il n’y aurait ni juillet ni février contre cette reine. C’est ainsi qu’un poète issu du peuple s’honore, fait de sa muse une puissance bienfaisante, et de sa gloire inoffensive et aimable le patrimoine des aines généreuses.