le talent du poète et lui communique l’animation et la vie. Réalité et idéal, imagination et bon sens, grace ingénieuse et piquante, sensibilité attendrie, vivacité passionnée, humeur du sol natal, — tous ces élémens se fondent, se combinent dans un art savant et naïf à la fois, sobre et abondant, coloré et ferme, où on sent comme une force secrète de concentration à travers la variété inépuisable des détails, soit qu’il peigne dans ses poèmes les mœurs populaires, soit qu’il s’inspire de lui-même, de ses souvenirs ou de sa vie présente. En général, il n’est point de poète chez lequel il y eût moins à retrancher. Jasmin travaille ses vers, et il ne s’en cache pas ; aussi appelle-t-il spirituellement les impromptus la bonne monnaie du cœur et la fausse monnaie de la poésie, et ce tact soigneux, cet art savant, lui servent à mieux mettre en saillie les divers côtés de son inspiration et de ses inventions.
Jasmin a dans toutes les choses de son art et de sa langue un goût, une délicatesse dont l’expression n’a point laissé d’être piquante parfois et de se montrer dans sa vive et naturelle originalité. Un jour, dans une de ses courses méridionales où il était fêté selon l’habitude, à Montpellier, un honnête potier-poète auteur de vers provençaux, se sentant sans doute humilié du succès de la muse gasconne, lui porta quelque défi brutal. Le poète de l’Hérault ne proposait à l’auteur de Marthe rien moins que de s’enfermer avec lui entre quatre murs, sous la garde de quatre sentinelles, avec trois sujets à traiter en vingt-quatre heures. C’était un champ-clos poétique où la palme était à la vitesse« Quoi ! monsieur, se hâta de répondre Jasmin, vous proposez à ma muse, qui aime tant le grand air et sa liberté, de s’enfermer dans une chambre close, gardée par quatre sentinelles qui ne laisseraient passer que des vivres, et là, de traiter trois sujets donnés en vingt-quatre heures ?… Trois sujets en vingt-quatre heures ! Vous me faites frémir, monsieur. Dans le péril où vous voulez mettre ma muse, je dois vous avouer, en toute humilité, qu’elle est assez naïve pour s’être éprise du faire antique au point de ne pouvoir m’accorder que deux ou trois vers par jour. Mes cinq poèmes : l’Aveugle, les Souvenirs, Françounetto, Marthe, les Deux Jumeaux, m’ont coûté douze années de travail, et ils ne font pourtant en tout que deux mille quatre cents vers. Les chances, vous le voyez, ne seraient donc pas égales. À peine nos deux muses seraient-elles prisonnières, que la vôtre pourrait bien avoir terminé sa triple besogne avant que la mienne, pauvrette, eût trouvé sa première inspiration de commande… Ma muse se déclare d’avance vaincue, et je vous autorise à faire enregistrer ma déclaration… » Puis le poète ajoutait ce simple mot en post-scriptum : « Maintenant que vous connaissez la muse, connaissez l’homme. J’aime la gloire, mais jamais les succès d’autrui ne sont venus troubler mon sommeil… » Voilà comment, sous les pas de cet homme singulier, se multiplient les épisodes où se révèle avec mille saillies sa rare nature poétique et morale. Par