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En ce moment, le gaucho et le capitaine parurent sur le seuil de la cabane. Je compris qu’il n’était plus temps d’hésiter, et je m’éloignai avant que le capitaine eût pu me voir, tandis que la jeune fille regagnait la cabane.


II

Tout en marchant à pas lents vers le pont du ruisseau, je me posai une question assez embarrassante : Saturnino rendait-il à Fleur-de-Liane tout l’amour que celle-ci n’avait pu cacher ? Et, au cas contraire, le fâcheux qui ne craignait pas de venir troubler un doux tête-à-tête ne s’exposait-il pas à être fort mal accueilli ? J’aimai mieux croire toutefois qu’il y a, dans la passion violente et réelle, un irrésistible empire qui soumet à son joug ceux qui l’ont causée, surtout quand ils joignent au magnétisme de la passion celui non moins puissant de la jeunesse et de la beauté. Je m’avançai donc vers le pont, certain de trouver Saturnino, en dépit des provocations de la jeune fille aux campanules rouges, dans une situation d’esprit et de cœur semblable à celle de Fleur-de-Liane. Je marchais néanmoins vers le but de mes investigations avec la prudence du naturaliste qui veut étudier les mœurs des tigres ou des lions dans leurs forêts natales ; il ne doit pas oublier que les barreaux de fer des ménageries ne sont, plus là pour le défendre, et je ne perdais pas de vue qu’il n’y avait pas plus d’alcade que de gendarmes dans cette petite bourgade à demi sauvage.

À mesure que je m’avançais en parlementaire, le silence devenait plus profond. Les bruits et les lueurs qui s’échappaient des huttes s’éteignaient graduellement ; bientôt je n’entendis plus que le clapotis presque insensible du ruisseau et les vibrations légères des longues lianes sous quelque bouffée de vent chaud. Parfois aussi au frémissement des palmes sonores des lataniers se mêlaient quelques voix ou les chants lointains du village. J’écoutai de toutes mes oreilles, et j’essayai vainement de distinguer dans les rumeurs confuses venues des huttes, des bois ou du ruisseau, la voix de Saturnin ou celle de la coquette villageoise qui semblait le poursuivre. Aucun pied ne faisait craquer les feuilles sèches sur la mousse, aucunes lèvres n’échangeaient le pli léger murmure. Tout cela me parut d’un triste présage pour la pauvre Fleur-de-Liane. Je n’avais cessé d’avoir les yeux fixés dans la direction du pont, et je n’avais pas vu revenir celle que j’appelais sa rivale, et qui s’était avancée pleine de confiance dans une beauté qui était loin d’égaler celle de Fleur-de-Liane. Il y avait donc trahison, à n’en douter, et je ne pus m’empêcher d’en ressentir un amer désappointement ; tant d’amour méritait mieux. Incertain si je devais revenir lui