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murmures. On entendait au loin retentir le cri des oiseaux ; mais ces cris ne paraissaient saluer ni le retour du soleil, ni celui de la fraîcheur des nuits après un jour brûlant. C’était une clameur discordante, des notes confuses, effrayées ou plaintives, auxquelles ne tardèrent pas à se mêler les vagissemens d’effroi des chacals et de tous les hôtes des bois. Des momens de silence succédaient à ces rumeurs étranges dont je commençais à soupçonner l’origine en me rappelant le sinistre avertissement du chasseur des cerfs. Des symptômes terribles ne me laissèrent bientôt plus aucun doute. Des tourbillons d’une fumée noire pailletée d’étincelles se balançaient comme de sombres panaches sur la voûte obscurcie du ciel, et des oiseaux éperdus, suffoqués, voletaient par centaines au-dessus de ces tourbillons ; la forêt, une partie de la forêt du moins, était en feu, à peu près dans la direction que je suivais. Craignant de me trouver enveloppé dans la flambée, je m’arrêtai un instant pour m’orienter de nouveau dans un endroit où la végétation moins épaisse laissait au-dessus de ma tête une assez large trouée sur le ciel. L’horizon était alors teint d’une clarté sanglante ; le disque de la lune n’y apparaissait que comme une tache pâle à laquelle je tournais le dos. En marchant dans la direction que le capitaine m’avait enjoint de suivre, je m’aperçus avec joie que je laissais l’incendie derrière moi. Complétement rassuré, je doublai le pas, mais j’avais compté sans les difficultés toujours renaissantes du chemin. Quelque pénible qu’il fût de se faire jour à travers cette végétation puissante, il était un obstacle encore sur lequel je n’avais pas compté : c’était le nombre prodigieux d’insectes qu’un éternel soleil y fait pulluler et que le froissement des branches faisait tomber sur moi par myriades. Quand j’en sentis les piqûres brûlantes, il était trop tard pour reculer, car j’avais autant de chemin à faire pour revenir sur mes pas, selon toute apparence, que pour gagner la clairière du Palmar, et il me fallait fuir l’incendie.

Enfin, et à ma grande satisfaction, j’aperçus à travers un rideau de palmiers les rayons de la lune jeter une blanche nappe de lumière sur un large espace ouvert devant moi : c’était la clairière, que je cherchais et que je trouvais déserte encore. Cette clairière formait une vaste ellipse et ressemblait à un cirque romain. À l’une des extrémités de l’arène, une flaque d’eau irisée par la lune se détachait sur un fond de verdure comme une opale enchâssée dans une émeraude. Un triple rang de palmiers semblait jeté tout autour comme une digue pour contenir la mer de verdure qui frémissait derrière eux. Avides d’air et de lumière, les feuillages parasites escaladaient la tête des palmiers qui ployaient sous leur poids. Comme le faneur qui ne peut supporter une gerbe trop lourde, les palmiers laissaient déborder jusqu’à leurs racines la végétation luxuriante de la forêt. De vagues murmures s’élevaient