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chaque corps, d’énergiques officiers, obéissans, dévoués, assez fermes pour assumer au besoin la responsabilité ; dans les rangs, des soldats passés au crible par les fatigues et les halliers, de ces natures vigoureuses qui saisissent dans son regard la pensée du chef et lancent leurs corps sans songer au péril : — il ne fallait pas moins pour assurer le succès de nos armes dans les montagnes où elles pénétraient pour la première fois. Derrière chacune de ces roches, de ces escarpemens que tous les renseignemens présentaient comme du plus difficile accès, se tenait une rude population prête à disputer chèrement le passage de ses terres que n’avait jamais souillées le triomphe de l’ennemi. Nous allions marcher droit sur le port de Djidgelly, traversant d’abord le pays comme un boulet. Dans la première partie de cette course, nos fusils traçaient un sillon ; dans la seconde, prenant les tribus à revers, nous devions amener les Kabyles à soumission.

Le 8 mai, du haut des remparts à demi ruinés de leur petite ville, à l’ombre de leurs jardins en fleurs, les habitans de Milah regardaient les longues files de la colonne passées en revue par le général Saint-Arnaud dans la plaine qu’un soleil ardent éclairait. Les tambours battaient au champ devant le brillant état-major ; les soldats présentaient les armes, la musique jouait ses fanfares, et à l’horizon se dressaient les montagnes où tant de braves gens allaient rester. C’était dans tous les rangs un frémissement de guerre qui saisissait l’ame, car il n’y avait pas là un spectacle, un des jeux de la paix ; le chef comptait sa troupe avant de la mener au danger. Nul pourtant n’y songeait. L’impatience du général, fier de la mâle attitude des bataillons, était partagée par tous ces cœurs de soldats. Le lendemain, au point du jour, la colonne prenait la direction du col de Beïnem, et, après avoir traversé l’Oued-Eudjà, dont les eaux limpides glissent sous des buissons de lauriers roses, elle s’établissait au bivouac à la limite du territoire ami.

Dans la matinée du 10, vers les neuf heures, le général Saint-Arnaud, accompagné de tous les chefs de corps, se porta vers une crête rocheuse située à environ deux kilomètres du camp. Le regard plongeait de ce point élevé sur le pays des Ouled-Ascars, et se trouvait arrêté à l’extrémité de la vallée de l’Oued-Ja par le rideau de montagnes qu’il fallait franchir le lendemain. La route, ou, pour dire vrai, le sentier, bon tout au plus pour des chèvres, passait par un évasement nommé le col de Menazel ; ce col était dominé par deux pitons. À l’œil nu, le terrain semblait d’abord assez facile ; mais, dès qu’on prenait la lorgnette, on distinguait les ravines profondes qui déchiraient le flanc de la montagne, les bois, les abris pour la défense que présentaient surtout les roches du piton de droite, et les petits plateaux d’un difficile accès où de gros villages étaient bâtis. C’était par ces sentiers affreux, sous le feu d’un ennemi qui, comprenant toute l’importance