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ont ainsi de part et d’autre vaillamment guerroyé : — la vérité était entre les deux. M. Thiers a bien le droit de se moquer de la littérature ennuyeuse des économistes, la sienne est si amusante ! C’est un plaisir de voir à l’œuvre cet esprit limpide où se réfléchissent comme en un miroir à mesure qu’il les sait toutes les choses qu’il apprend, ou pour mieux dire, il ne les apprend pas, il les découvre, quelquefois il les invente ; mais il les sait si bien, qu’il y croit toujours quand il les dit, et cette passion avec laquelle il se fait une vérité à son usage n’est pas un des moindres dons par lesquels il fascine son auditoire. Ajoutez-y pourtant l’adresse non moins naturelle de toucher toujours à propos aux cordes les plus populaires, et d’être sans difficulté aussi chaud démocrate, quand il se tourne vers la gauche, qu’il est obstiné conservateur, quand il s’adresse aux manufacturiers de la droite.

Nous ne dirons rien aujourd’hui de l’Angleterre, sinon que le cabinet de lord John Russell va toujours bravement d’échec en échec, ballotté dans cette malheureuse question des titres ecclésiastiques par les attaques incessantes des amis de lord Stanley et par les fougueuses incartades de la brigade irlandaise. L’état de l’Allemagne doit surtout attirer notre attention.

C’est quelque chose de remarquable que le nombre de voix qui s’élèvent maintenant en Allemagne du milieu même des rangs conservateurs pour arrêter les gouvernemens et surtout les coteries sur la pente rétrograde où l’on essaie de conduire les institutions publiques. Il y a certainement sujet de réfléchir lorsqu’on s’aperçoit d’où part aujourd’hui l’opposition de l’autre côté du Rhin, quels sont les noms qui viennent la recruter, quelles sont les mesures qui la soulèvent. Que les passions et les erreurs de 1848 amenassent une réaction en sens inverse, que l’on redevînt sage, trop sage même, par chagrin d’avoir été fou, par peur de l’être encore, c’était fort explicable, et il n’y aurait point eu de mal à cela, parce que tous les mouvemens politiques livrés à leur allure propre finissent bientôt par s’équilibrer. Malheureusement derrière ce juste repentir, derrière l’esprit de sagesse, veillaient encore dans l’ombre tous les vieux intérêts, tous les entêtemens arriérés, condamnés cent fois par le progrès raisonnable du temps avant d’avoir été frappés par la secousse soudaine de 1848. Ce sont ceux-là qui ont épié l’instant de reparaître, et qui, croyant l’avoir saisi, se montrent sur tous les points au grand jour, prétendant sans plus de mystère que c’est en leur honneur qu’on a vaincu la révolution, et qu’il faut leur laisser exploiter la victoire comme ils l’entendent. L’extrême droite se porte hardiment pour souveraine maîtresse dans presque tous les états germaniques, et il n’est guère de direction qu’elle ne veuille imprimer à son profit et en son nom, soit au dedans, soit au dehors. Voilà sans doute un châtiment mérité des excès de l’extrême gauche, et l’on ne saurait beaucoup plaindre l’Allemagne démagogique d’avoir ainsi, de ses propres mains, frayé le triomphe des ultras du plus ancien régime. Ce n’est pourtant pas la démagogie toute seule qui l’ait les frais du châtiment ; aussi trouvons-nous qu’il est temps de le modérer. Les principes sur lesquels on se déchaîne, ce sont dorénavant les principes essentiels de la vraie et salutaire liberté, de la liberté dans l’ordre et dans le possible. C’est à celle-là surtout qu’on s’en prend aujourd’hui, parce que c’est encore celle-là qui contrarie le plus les exagérations de toute couleur : c’est à celle-là qu’on pardonne le moins, et tel est l’aveuglement avec lequel on l’attaque