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en perfection. On ne rencontre pas souvent en Allemagne de pareille ébénisterie ; il est vrai que cela vient de Milan, assure-t-on. Le dessin cependant pourrait bien être allemand. Ils sont si incommodes, ces beaux meubles ! les petits rideaux écourtés, arrondis, entrecroisés, inutiles, formant un dais, couverts de glands pareils à des grelots, donnent à ce grand lit un tel air de ressemblance avec ces instrumens de torture dans lesquels on vous invite à dormir, en Allemagne, entre deux édredons étouffans qui vous menacent d’apoplexie si vous les subissez, et vous livrent aux fluxions de poitrine si vous vous débarrassez d’eux ! Les Allemands, qui produisent de si belles et de si bonnes choses, telles que les draps et les tissus de fil de Saxe, n’ont pas l’instinct de l’élégance. Dès qu’ils entrent dans cette voie, ils dépassent le but qu’ils se proposent ; ils perdent toute mesure, faute de ce tact avec lequel l’industrie doit mélanger l’utilité et la fantaisie. Voici par exemple une voiture de Hambourg en bois de palissandre, avec les ressorts dorés, les boîtes des roues en argent et des lanternes ciselées comme des châsses ; cela est affreux et ne peut servir à rien. Je citerais aisément vingt autres articles de ce genre, d’un luxe aussi niais, aussi peu motivé et aussi laid. Quand on sort de sa nature, Dieu sait où l’on va, et, comme disait La Fontaine, on ne fait rien avec grace. Avez-vous jamais considéré des Allemands en train d’imiter la gaieté légère des Français ? Jamais ils ne peuvent trouver le degré précis où l’amabilité se rencontre ; ils prennent trop haut ou trop bas, et passent de la lourdeur à l’inconvenance. Ils font de même en industrie : s’ils quittent leur terrain pour nous suivre, l’exagération les saisit aux cheveux, la tarentule les pique, et ils prennent le mors aux dents.

La naïveté traditionnelle des forêts germaniques est représentée à Londres par un immense plan en relief du château de Rosenau, où naquit le prince Albert. Une grande innocence respire dans cet objet, et je suis convaincu que celui qui l’a conçu est un très honnête homme. Il s’agit d’une énorme planche carrée, enduite, j’imagine, de papier mâché, dans lequel on a pétri des vallées, formé des collines et planté de petits sapins en râclures de baleine. Un large semis d’épinards pulvérisés indique les pelouses, et l’on a ingénieusement dessiné les allées avec de la sciure de buis. Sur la hauteur, on voit un château de carton ; au bas de la montagne, une centaine de petits paysans en bois sont rassemblés. On monte la mécanique, et ces braves gens se mettent aussitôt à walser tout aussi bien que sur un orgue de Barbarie. Voilà tout le spectacle ; il a le plus grand succès, il faut le dire, auprès du public anglais. Il y aurait cependant grande injustice à rire ainsi toujours du Zollverein. Son exposition est considérable et curieuse. La Prusse notamment a fait de grands efforts. Les statuaires de Berlin ont envoyé plusieurs morceaux intéressans, et le vase de M. Drake, bien qu’il