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misses considèrent avec moins d’effroi que de curiosité. Cette statue pourra bien confirmer cependant l’opinion qu’on a de nous, et Dieu sait qu’elle n’est pas bonne. L’autre jour, j’allais retenir un logement pour un de mes amis ; le prix était arrêté, quand le propriétaire, se ravisant : « C’est pour un monsieur français ? me demanda-t-il. — Oui, sans doute, répliquai-je. — Alors, je ne puis pas vous louer, continua-t-il ; nous avons des ladies dans la maison. » Malgré tout, on ne nous déteste pas, on nous regarde avec curiosité comme la statue de M. Clesinger ; du Français on pense volontiers ce que disait une femme : « C’est un coquin, mais il est aimable. » Sur les vases de Sèvres, vous retrouvez les rêves de M. Ingres, et le beau a quelque chose en lui de si émouvant, que ceux-là même qui ne se rendent pas compte de leur impression s’arrêtent comme retenus par un charme tout-puissant. Si vous montez à l’étage supérieur, vous trouvez la vitrine de Lyon, qui n’a pas moins de cent vingt pas de long, et vous pouvez rester un jour devant cette palette merveilleuse, devant ces étoffes de soie qui ont atteint la dernière limite de la perfection industrielle. Il n’est pas besoin d’être connaisseur en matière de tissus pour deviner la beauté de ces pièces de velours et de satin ; ce sont des objets d’art, on le sent à première vue. Le peintre y peut venir étudier aussi bien que le fabricant ; l’arrangement seul de cette exposition est un chef-d’œuvre. Chaque mètre de soie a été tendu avec le respect qui lui est dû ; chaque nuance est entourée de nuances amies ; chaque dessin, de dessins dont les lignes n’ont rien qui se contrarie. M. Eugène Delacroix, qui s’y connaît, prétend, à ce qu’on m’a dit, que les commis de boutique qui disposent les étalages à Paris sont les premiers coloristes d’Europe. Que dirait-il s’il voyait l’exposition de Lyon et celle de Mulhouse ? C’est le nec plus ultra de l’habileté en ce genre, c’est le dernier mot de cette science que le goût seul peut donner, dont les Anglais ne se doutent pas plus que les Allemands, et qui est notre partage. La reine d’Angleterre, qui est la visiteuse la plus assidue de l’exposition, ne se lasse pas de parcourir ces deux galeries, et elle témoigne son admiration à nos fabricans de la façon la plus gracieuse en portant chaque jour une robe nouvelle provenant des manufactures de MM. Dolfus, Odier, etc. Je ne saurais trop insister sur cet art de l’arrangement, de la mise en scène, qui distingue si éminemment les Français. C’est une qualité nationale qui se retrouve partout chez nous, non-seulement dans les étalages, mais dans l’arrangement des maisons, dans la toilette des femmes, dans la conversation même. En aucun pays, on ne sait aussi bien faire valoir ce que l’on a. La plus modeste grisette de Paris tirera si bon parti de ses yeux noirs, de ses dents blanches et de sa robe de toile, qu’elle se fera plus attrayante, plus élégante, plus jolie même qu’une Anglaise ou une Allemande cent fois plus jolie. Un Français, s’il n’est pas absolument