sur la valeur morale des agens qui les ont accomplis. Ces deux jugemens font nécessairement partie de l’appréciation complète d’un fait. Le premier appartient à la raison de l’historien, appelé à discerner le rapport qui unit le passé au présent, un acte à ses résultats ; le second est le verdict immédiat de la conscience. Souvent ils peuvent différer, puisqu’il est manifeste qu’une action mauvaise peut, dans des circonstances données, et contre l’intention de celui qui en est l’auteur, avoir des conséquences favorables et inattendues : l’histoire en fournirait des preuves au besoin. Dans un cas pareil, il est indispensable de faire des parts distinctes à deux élémens profondément divers, de reconnaître avec gratitude l’intervention d’une Providence miséricordieuse qui sait tirer le bien même de nos intentions perverses, sans que cette considération atténue en rien le jugement de condamnation porté sur des actes criminels. Dieu pense en bien ce que nous avons pensé en mal, Dieu est bon sans que l’homme en demeure moins mauvais. Autrement il faudrait que les sages remerciassent dans leur cœur les meurtriers de Socrate de leur avoir fourni l’exemple d’une mort si belle, et que les chrétiens vouassent un culte de reconnaissance aux Juifs qui élevèrent la croix du Golgotha.
Ces distinctions, élémentaires pour qui croit à la liberté de l’homme et à l’action souveraine de Dieu, ne disparaissent que trop souvent sous la plume de l’historien. Comment, par exemple, les faits de la révolution française sont-ils appréciés par plus d’un auteur contemporain ? Ne voyons-nous pas absoudre les plus grands coupables en considération des résultats heureux que l’on attribue à leurs actes ? Parce que certains abus qui frappaient tous les regards avant 89 n’ont pas reparu dès-lors, ne nous propose-t-on pas d’élever presque au rang des bienfaiteurs de l’espèce humaine des hommes dont le nom ne devrait inspirer que l’horreur et l’épouvante ? N’entendons-nous pas, pour atténuer, pour justifier peut-être les plus horribles attentats, invoquer les intérêts de la cause révolutionnaire comme une sorte de nécessité suprême que se bornaient à subir légitimement ceux qui élevaient la guillotine et versaient le sang à flots ? Suivez la pensée de ces historiens, poussez-la à ses conséquences dernières : vous voyez l’homme et Dieu disparaître pour ne laisser à leur place qu’une sorte de loi inexorable qu’accomplissent avec toute la précision de la fatalité des agens irresponsables, parce qu’ils sont destitués du libre arbitre. Une raison licencieuse élève ainsi un système dans lequel tout ce qui a été devait être, et la conscience se tait, car sa voix ne trouve plus de place où se faire entendre.
Une semblable théorie peut séduire l’homme de cabinet qui ne voit les événemens que de loin, surtout s’il aspire à cette triste impartialité qui nous élève au-dessus de la sphère où l’on approuve et s’indigne