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ne sont au fond que deux formes diverses du règne de la force matérielle. Cette voie moyenne est l’existence d’une autorité élevée par une adhésion unanime et traditionnelle au-dessus de toute contestation. Un pouvoir appuyé sur la foi politique des peuples, et non sur la force des armes ou sur les passions de la multitude, assure seul à la société cet ordre véritable qui est le juste mélange de la puissance du gouvernement et de la liberté des citoyens. Or l’idée de la légitimité est éminemment propre, par les sentimens qu’elle inspire, à atteindre ce but, car elle obtient soumission volontaire pour le présent et confiance pour l’avenir.

Telles sont les vues politiques de M. de Biran, résultat assez naturel des dures expériences par lesquelles il avait passé. Après les troubles révolutionnaires, qui condamnaient sans retour à ses yeux la théorie de la souveraineté populaire ; après l’empire, qui lui avait appris à redouter la main de fer du despotisme militaire, — il demandait à la paisible puissance du trône le repos, l’ordre et la garantie de toutes les libertés. S’il ne crut pas au droit divin des Bourbons, il crut à la nécessité sociale de la dynastie. Une seule pensée le dominait : la nécessité de donner une base fixe à la société trop long-temps agitée. On comprend dès-lors que, tout préoccupé de la restauration de la puissance royale, il fît assez bon marché des pouvoirs et des prérogatives de la chambre. Il aurait consenti volontiers à réduire ce corps au rôle d’un conseil de la couronne, fait pour éclairer le monarque et jamais pour le dominer. L’état moral de la réunion des députés de la France lui cause souvent de l’irritation : « Dans nos grandes assemblées, tout est pour la vanité, rien pour la vérité, écrit-il en 1816 et en 1820. » Après une plus longue expérience : « Passions, intérêts personnels, mensonges perpétuels, comédie… voilà le gouvernement représentatif. » Ces appréciations sévères ne sont pas les motifs les plus sérieux de son opposition à l’extension de la puissance parlementaire : le pouvoir de la chambre, c’est le pouvoir démocratique, toujours envahissant de sa nature, et qui ne peut s’étendre sans menacer les bases mêmes de la monarchie. Les députés de la nation cessent-ils de faire preuve de ce respect de l’autorité, de cette fidélité au monarque dont ils doivent donner l’exemple au peuple qu’ils représentent ; veulent-ils gouverner eux-mêmes, au lieu de prêter leur concours au gouvernement du roi : dès-lors les rôles sont intervertis, la base de l’ordre politique est ébranlée, et la révolution recommence. L’état particulier de la France ajoute un nouveau poids à ces considérations. Sur ce sol si cruellement labouré, deux partis et comme deux peuples se trouvent en présence, animés de passions hostiles, prêtes à reprendre au moindre souffle leur redoutable énergie. À ces partis en lutte il faut un médiateur. Or, ce n’est pas dans une assemblée que la puissance médiatrice peut résider. Cette assemblée, en effet, est composée d’hommes