était certainement un milieu plus convenable que Bergerac pour y fonder une école philosophique ; mais fonder une école, c’est à quoi M. de Biran n’a jamais songé. On peut apprécier diversement ce mépris du prosélytisme ; ce qui doit honorer sa mémoire, c’est le caractère profondément désintéressé de ses recherches : la vérité lui sembla toujours une suffisante récompense des travaux qu’elle réclame. Faire de sa réputation de métaphysicien un moyen de parvenir dans le monde est une idée qui n’aborda jamais son esprit. Jamais il n’abaissa la science jusqu’à en faire un moyen dans la poursuite d’intérêts d’un ordre inférieur.
La vie de Paris, si bien faite pour les hommes aux yeux desquels la culture de la pensée est avant tout un instrument de puissance ou de renommée, était donc à charge de toutes manières à M. de Biran. Se trouvant déplacé dans les assemblées politiques, déplorant le temps qu’il perdait dans le monde, redoutant les mille distractions de ce centre de mouvement et de bruit, ne demandant rien à ce foyer de gloire intellectuelle, il gémissait sur les liens qui l’enchaînaient à la capitale de la France. Ces liens, il était en son pouvoir de les rompre, il y aspire, il en forme le projet ; mais la volonté lui manque : une puissance à laquelle il ne sait résister, une sorte de fatalité inexorable le ramène sans cesse à cette vie de Paris qu’il maudit, et dont il a besoin. Il épuise donc l’expérience du genre de vie auquel il reste comme enchaîné, et d’année en année il acquiert une conviction plus profonde que, dans les corps politiques ni dans les salons, dans les affaires de l’état ni dans la vie du monde, il ne saurait rencontrer cet intérêt calme et constant, ce repos de l’ame, première condition du bonheur.
L’enseignement fut complet et porta ses fruits. Revêtu de charges publiques importantes, jouissant d’une haute considération scientifique auprès des hommes capables de l’apprécier, Maine de Biran n’était pas heureux ; un amer sentiment de vide le poursuivait, sa vie morale manquait de base. On ne le voit jamais demander le bonheur à une position plus haute, à de plus grands revenus, à une réputation plus étendue ; il sait qu’il ne trouverait dans cette vie que déceptions et mécomptes, il le sait de cette science profonde qui arrête jusqu’aux désirs de l’imagination. Lorsque, fatigué du tourbillon de la société et du tumulte des affaires, il se recueille un moment et laisse ses vœux prendre un libre essor, c’est dans sa terre de Périgord que sa pensée le transporte. Une vie solitaire, des soins consacrés à l’éducation de ses enfans, dont il vivait trop séparé, les joies paisibles de la nature, ses études chéries, dont rien ne viendrait plus le distraire, tels sont les tableaux dans lesquels son ame se complaît. Ce qu’il demande avec le poète, c’est :
… la douce solitude,
Le jour semblable au jour, lié par l’habitude.