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sa pensée. Cet écrit répartissait dans trois vies différentes l’ensemble des faits que présente notre nature, envisagée dans les degrés successifs de son développement normal et complet.

La première vie, ou vie animale, est régie par les impressions de plaisir ou de douleur dont la machine organisée est l’occasion ; elle est le siège des passions aveugles, de tout ce qu’il y a en nous d’inconscient et d’involontaire : c’est l’état de l’enfant en bas âge avant le premier éveil de la conscience, l’état dans lequel nous retombons toutes les fois qu’abdiquant le gouvernement de nos destinées, nous acceptons le joug des penchans organiques qui constituent notre tempérament. Les états de sommeil, d’aliénation mentale et autres analogues trouvent ici leur place.

La seconde vie, ou vie de l’homme, commence à l’apparition de la volonté et de l’intelligence, dont un premier déploiement de la volonté est la condition. Les idées et la parole s’ajoutent aux instincts, et la force personnelle entre en combinaison avec ces instincts, lutte avec eux ou s’abandonne plus ou moins à leur impulsion : il y a conflit entre deux puissances d’ordre différent ; les penchans inférieurs subsistent et font sentir encore leur empire, tandis que la raison entrevoit une sphère plus élevée, une vie meilleure.

La troisième vie est la vie de l’esprit. La volonté, au lieu de chercher un point d’appui en elle-même, s’abandonne à l’influence supérieure de l’esprit divin ; la lutte cesse alors. L’homme, identifié autant qu’il est en lui avec la source éternelle de toute force et de toute lumière, trouve la joie et la paix dans le sentiment de son union intime avec son Dieu. L’animalité est vaincue, le triomphe de la vie divine assuré.

L’effort est le caractère distinctif de la deuxième vie ; c’est à l’amour qu’il est réservé d’élever l’homme à la troisième. « Le véritable amour consiste dans le sacrifice entier de soi-même à l’objet aimé. Dès que nous sommes disposés à lui sacrifier invariablement notre volonté propre, si bien que nous ne voulons plus rien que lui et pour lui, en faisant abnégation de nous-mêmes, dès-lors notre ame est en repos, et l’amour est le bien de la vie[1]. » L’homme est donc placé dans une position intermédiaire entre Dieu et la nature. En s’abandonnant à ses appétits et à toutes les impulsions de la chair, il subit la loi des forces naturelles et trouve une sorte de triste repos dans l’unité d’une vie purement animale. En s’abandonnant sans réserve à l’influence de l’esprit-amour, il trouve dans l’abnégation de sa volonté propre la joie du renoncement et parvient à la paix dans l’unité de la vie divine. Dans l’état moyen, où l’homme lutte contre les impulsions sensibles sans

  1. Journal intime, juin 1822.