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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/287

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de richesse et de beauté par tout le monde romain, témoin cette description qu’en traçait vers 440 le prêtre marseillais Salvien[1]. « Il n’est douteux pour personne, écrivait-il, que l’Aquitaine et la Novempopulanie soient la moelle des Gaules et l’essence de toute fécondité ; et que parlé-je de fécondité ? On y trouve encore ce qui parfois passe avant la fécondité : l’agrément, la mollesse et la beauté. Toute la contrée s’y déploie aux yeux, ou entrelacée de berceaux de vignes, ou émaillée de prairies, ou diaprée de cultures, ou plantée de vergers, ou ombragée de bosquets, ou arrosée de sources, ou sillonnée de larges fleuves, ou hérissée de moissons comme d’une crinière d’or, tellement que les maîtres et seigneurs de cet heureux pays ne paraissent pas posséder un canton de notre monde, mais une image du paradis. » Les Visigoths s’y installèrent en 419 sous la direction de commissaires impériaux, qui partagèrent le sol entre eux et les habitans dans la proportion de deux tiers pour les barbares et d’un tiers pour les Romains. Ce fut la solde de leurs services passés et futurs, moyennant quoi ils devinrent hôtes de l’empire, lui prêtèrent foi et obéissance, s’engagèrent à n’avoir d’amis que ses amis, d’ennemis que ses ennemis, et jurèrent de « conserver loyalement sa majesté[2], » antique formule des traités passés entre Rome suzeraine et les fédérés ses vassaux. Les barbares gardèrent leurs lois, leur administration, leur idiome ; le Romain, enclavé dans leurs cantonnemens, ne cessa point d’être soumis à la loi romaine et aux magistrats dépendans de la préfecture du prétoire ; les villes restèrent romaines, sauf un petit nombre. On eût dit un camp allié dressé en pays romain ; mais ce camp devait tendre sans cesse, par la nature des choses, à se transformer en un état indépendant. Vallia fit de Toulouse le siège de son administration, comme avait fait Ataülf. Au reste, il eut à peine le temps d’installer son peuple sur cette terre promise ; il mourut la même année, laissant pour son successeur Théodoric, de la famille des Balthes.

Cette opération délicate et les négociations qui la préparèrent furent dirigées par le second mari de Placidie, Constantius, patrice et gouverneur des provinces transalpines[3]. On eût pu croire que les Visigoths s’étaient chargés de la fortune de ce personnage, tant ils lui portaient bonheur en toute rencontre. Devenu patrice pour les avoir chassés de la Gaule, il se vit nommer empereur pour les y avoir ramenés. Il

  1. Salvien est auteur du livre fameux intitulé du Gouvernement de Dieu, où il cherche à démontrer que les Romains avaient attiré par leurs péchés les malheurs qui accablaient alors l’empire. C’est une justification de la Providence par la nécessité de punir les hommes, et souvent une apologie des barbares dont la Providence se servait comme d’un instrument pour châtier Rome.
  2. Majestatern populi Romani comiter conservare.
  3. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1850.