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êtes ce que je crois, quelque doux songe, je vous demande seulement de vous achever. Si vous êtes cette Ida que j’ai connue, je ne vous demande rien ; mais vous êtes un rêve ; doux rêve, de grace, soyez complet. Je mourrai cette « nuit. Penchez-vous et ayez l’air de me donner un baiser avant que je meure. »

« Je n’avais plus de voix. Je gisais comme un malade en léthargie qui entend ses amis parler de ses funérailles et qui ne peut ni parler, ni bouger, ni faire un signe, mais qui reste affaissé et transi d’un morne effroi. Elle tourna la tête, puis elle s’arrêta, puis elle se pencha sur moi, et un cri jaillit de mon épuisement. La passion ardente s’élança du seuil même de la mort, et mon ame sur ses lèvres se mêla à la sienne. Je retombai en arrière, tandis qu’elle s’échappait de mes bras, brûlante d’une noble rougeur, et soudain sa nature d’autrefois se détacha d’elle comme une robe qui tombe. Il ne resta qu’une femme plus charmante dans son émotion que n’était belle autrefois cette autre déesse qui sortit des flots pour conquérir le monde par l’amour, une femme plus séduisante dans son ame que n’était la déesse dans son corps blanc et nu le jour où elle flottait sur les eaux le long des rives azurées, sillonnant d’une double lumière et le cristal de l’air et le cristal des vagues, tandis que la troupe des Graces s’apprêtait à la parer pour un culte sans fin. Il n’aura pas de fin non plus, mon culte pour toi, ô noble femme ! Mais elle s’était retirée, sans mot dire, sans jeter un regard en arrière, et moi je m’affaissai, et, tout pénétré d’amour, je m’endormis d’un heureux sommeil.

« Au cœur de la nuit, je m’éveillai. À mon chevet, elle tenait un volume des poètes de son pays, et ses lèvres disaient à demi-voix ces vers :

« Les pétales des fleurs de pourpre se sont endormis, les pétales dorment dans les fleurs d’albâtre. Le cyprès a cessé d’onduler dans les avenues du château ; les nageoires dorées ont cessé de sillonner le bassin de porphyre. La lucciole s’éveille ; éveille-toi aussi avec moi.

« C’est l’heure où la terre, comme une nouvelle Danaé, s’étend sous les étoiles ; ainsi ton cœur s’étend tout ouvert devant moi.

« C’est l’heure où le météore glisse silencieusement au ciel en traçant un sillage lumineux ; ainsi tes pensées glissent et brillent en moi.

« C’est l’heure où le nymphea referme sa corolle sur ses parfums et se laisse glisser au sein du lac. Ainsi referme-toi sur toi-même et laisse-toi glisser en mon sein pour te perdre en moi. »

« Je l’entendis tourner la page : elle trouva une suave et courte idylle, et, d’une voix aussi basse, elle se mit à la lire… tandis que je l’écoutais en fermant les yeux. Je les rouvris ; ses traits étaient pâles, sa poitrine était grosse de soupirs ; ses lèvres pleines avaient perdu leur orgueil, ses yeux avaient adouci leur éclat, et sa main tremblait comme sa voix. Elle avait peine à parler. Elle dit qu’elle le savait bien, qu’elle avait manqué d’humilité, qu’elle avait manqué de tout, que tout ce qu’elle avait fait était comme un bloc de pierre resté dans la carrière. Pourtant elle ne pouvait pas, non, elle ne pouvait pas se donner à un homme qui n’aurait que mépris pour le but qu’elle avait poursuivi, pour les droits de son sexe… Elle me priait de ne pas juger la cause des femmes d’après elle, qui l’avait si indignement soutenue, qui, dans la science, avait moins cherché la vérité que le moyen de s’élever elle-même… Elle m’avait, soigné pendant des semaines, et en peu de temps elle avait beaucoup appris…