attache, parce qu’elle s’appelle du moins la légalité. Ce sentiment en lui-même est respectable, et nous ne voudrions pas le reprocher à l’honorable rapporteur. Nous ne pouvons pourtant nous défendre de remarquer qu’il s’accommode bien tranquillement du régime qu’il a si radicalement condamné ; il a le culte de la loi, il le pousse jusqu’au stoïcisme. Comme ce n’est point par cet excès que l’on pèche en France, nous ne le blâmons pas volontiers là où il se rencontre ; ce que nous blâmons, c’est que l’on prétende tirer de cette loi, à laquelle on se dévoue uniquement par acquit de conscience, la même autorité que l’on emprunterait à celle dont on serait le panégyriste convaincu. Il y a là quelque chose qui dépasse la mesure, et l’on s’en apercevrait trop à la pratique pour qu’il soit prudent de s’avancer si loin tant qu’on n’est encore qu’à l’affirmation des principes. Il ne faut jamais forcer les fictions. M. de Tocqueville n’a pas besoin de descendre beaucoup en lui-même, ni de regarder beaucoup autour de lui pour découvrir que le culte de la constitution républicaine est, quant à présent, une fiction aussi délicate et aussi fragile que pas une de celles qu’il y avait jadis dans la monarchie constitutionnelle. Qu’il faille, si l’on peut, donner du corps à la fiction, rien de mieux ; mais s’y appuyer aussi carrément que si elle était une réalité, c’est la briser au lieu de la consolider. Obliger le gouvernement qui existe en vertu de cette loi d’en tenir compte et de lui maintenir sa force pendant tout le temps qu’il a pour ainsi dire sous la main, l’idée est honnête et bonne ; mais annoncer à grand bruit qu’avec cette loi imparfaite et vicieuse on enchaînera toutes les éventualités de l’avenir, on dominera non-seulement l’administration, mais l’opinion, c’est aller au-devant de difficultés qui ne sont pas encore venues, et les provoquer comme pour qu’elles viennent.
Aussi devons-nous dire que dans la courte discussion qui s’est engagée au sein de la commission immédiatement avant la lecture publique du rapport, c’est M. Barrot, ce n’est pas M. de Tocqueville, qui nous a paru le mieux raisonner en homme d’état. La preuve en est d’ailleurs que M. de Tocqueville s’est trouvé avoir M. Favre pour second, tandis que M. Barrot a été soutenu par M. de Broglie. La discussion roulait justement sur le point que nous venons de toucher ; M. Barrot n’eût pas voulu que « l’on liât ainsi l’assemblée vis-à-vis de l’avenir, qu’on lui prescrivît son devoir d’honneur en face de telle ou telle éventualité. » Bizarre inconséquence qui naît au milieu de tant d’autres d’une situation vraiment inextricable où le vertige semble saisir les meilleurs esprits ! M. de Tocqueville l’a dit lui-même en son langage si précis et si pénétrant : « N’est-il pas à craindre que dans ce trouble et dans cette angoisse, parvenus au dernier moment, les électeurs se sentent poussés, non par enthousiasme pour un nom ou pour un homme, mais par terreur de l’inconnu et horreur de l’anarchie, à maintenir illégalement et par une sorte de voie de fait populaire le pouvoir exécutif dans les mains qui le tiennent ? » N’est-ce pas aussi, répondrons-nous, appeler la voie de fait que de s’armer si fastueusement en guerre pour la prévenir, quand on ne réussit pas même à dissimuler la faiblesse que recouvrent ces menaces ? Interdire ainsi d’avance un chemin à la foule, prendre plus de soin de barrer celui-là que de lui en indiquer un autre, n’est-ce pas lui donner l’envie d’y passer ? Nous l’avons assez de fois répété : le mouvement révisionniste n’est point par lui-même, il s’en faut de tout, un mouvement bonapartiste ;