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qui ne souffre des siens. Nous sommes à l’un de ces momens où il arrive souvent que c’est la queue qui mène la tête, et la tête de chaque parti doit veiller plus que jamais à ce qui se passe derrière elle. C’est ainsi, par exemple, un devoir étroit pour les véritables chefs du parti légitimiste de contenir et de désavouer les insensés on les impatiens qui les menacent ou qui les débordent afin de jouer aux paladins errans ; mais ce serait une souveraine ingratitude de ne pas reconnaître que ce devoir a été plus d’une fois fermement rempli. M. Berryer surtout a ce courage de vouloir toujours regarder la réalité en face et de ne point se leurrer à plaisir de beaux semblans chevaleresques. Avant d’être de son bord, il est de son pays, et il sait bien qu’il n’est plus permis de courir aucune aventure pour aucune bonne cause. C’est sans doute afin de se convaincre lui et les siens de l’inutilité d’en méditer encore une qu’il a fait en la compagnie de M. Benoît-d’Azy et de M. de Saint-Priest ce dernier pèlerinage d’Angleterre, objet de suppositions si diverses et de rumeurs si mystérieuses. Nous avons plus d’une raison de croire qu’il n’y a rien sous le mystère ; les mystères politiques ont assez cet usage de couvrir le vide. Il était bon que des hommes d’état dont l’opinion est d’un si grand poids fussent à même de voir, d’apprécier par eux-mêmes ce qu’il pouvait advenir du projet de fusion où pour de certains calculateurs il y avait une espérance. Ils ont vu et jugé ; ce n’est pas un voyage perdu que d’en rapporter le dernier mot de quelqu’un. « Quand il ne manquera plus que nous, leur a-t-on dit, nous ne manquerons pas long-temps. » Nous n’avons pas besoin de traduire cette parole ; elle est la vraie parole de la maison d’Orléans, puisqu’elle renvoie aujourd’hui comme hier, comme toujours, toute décision à la France. Elle a d’ailleurs son cachet qui empêche qu’on la récuse ; elle a cette simplicité noble et grave à laquelle on reconnaît celui qui l’a prononcé.

C’est à peine s’il nous reste le temps et la place, au milieu de ces préoccupations que nous cause notre état intérieur, de jeter un coup d’œil au dehors. Nous voulons cependant mentionner un honorable succès du cabinet de Turin. Il s’agissait d’obtenir de la chambre des députés la confirmation du traité de commerce conclu avec la France. On venait de voter presque à l’unanimité le traité de commerce avec la Suisse. L’opposition inintelligente du parti radical garde toujours son poste dans le parlement, comme pour éprouver la patience et former l’expérience du ministère piémontais. Cette opposition avait suspendu en faveur de la Suisse les tracasseries perpétuelles dont elle fatigue M. d’Azeglio et M. de Cavour. M. Brofferio lui-même avait entonné un véritable dithyrambe, selon ses habitudes d’éloquence lyrique, à l’honneur des Suisses, ses frères en radicalisme. Quand ce fut au tour du traité français, l’opposition a reparu tout aussi vive. Les radicaux sont les mêmes dans tous les pays ; il semble qu’ils n’aient pas de plus grand souci que de pousser le monde à l’absolutisme en dégoût de leur règne. Le Piémont a le bonheur d’avoir pu garder, après tant de révolutions et de secousses, un gouvernement à la fois raisonnable et libéral. Le jeune roi, plein de sens et de loyauté, s’est entouré de ministres qui comptent parmi les hommes les plus éminens du pays, parmi les plus dévoués au principe constitutionnel. Ils ont pour la plupart fait leurs preuves dans les lettres, dans les sciences, sur les champs de bataille. Ils aiment l’alliance française, parce qu’elle est une double garantie pour eux, parce qu’elle les aide