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retour, qui sont touttes agréables et glorieuses, puisque je ne le dois qu’à M. de Longueville, et que jusqu’au bout tous mes ennemis s’y sont toujours oposés. La cour a témoigné beaucoup de considération pour moy en cette rencontre, et j’ay tout subjet d’estre satisfaitte en mes intérests personnels. Je ne demande plus rien à Dieu que la paix, et je vous demande à tous la continuation de vostre amitié et que vous ne doutiés point de la mienne.

« Mes complimens à M. de Marsin, je vous prie. »


Cette lettre met fin à nos citations et à cet article qui n’est lui-même, à vrai dire, qu’une longue citation. Ici finit la période agitée de la vie de Mme de Longueville et commence celle qu’occupent tout entière le devoir et le repentir. Nous laisserons Mme de Longueville sur le seuil de cette troisième et dernière époque. Disons seulement qu’elle y sera toujours elle-même, qu’elle y montrera sous une face nouvelle le même caractère, le même esprit, la même ame que nous avons tâché de peindre. Une fois qu’elle a consommé le grand sacrifice, le seul qui pût coûter à un cœur tel que le sien, elle ne songe plus qu’à son salut éternel. Si elle met d’abord dans ses sentimens nouveaux un peu de mesure, c’est pour complaire à son mari et remplir ses devoirs d’épouse avec d’autant plus d’exactitude qu’elle y a moins de goût et y trouve moins de bonheur. Aussitôt que M. de Longueville a fermé les yeux, maîtresse d’elle-même, elle se donne à Dieu sans réserve, et aussi extrême, aussi abandonnée dans la pénitence que dans la faction et dans l’amour, elle quitte le monde, elle va retrouver Mlle de Saugeon et Mlle Du Vigean aux Carmélites, elle entraîne Mlle de Vertus à Port-Royal elle s’enfonce de jour en jour davantage dans les pratiques les plus austères ; elle punit, elle afflige de toutes les manières, elle prend à tâche de dégrader ce corps jadis adoré, cette beauté qui l’a perdue ; surtout elle humilie cette passion de l’éclat et de la gloire qui conduisit son frère à Rocroy et à Lens et qui la poussa elle-même à l’Hôtel-de-Ville de Paris, à Stenai et à Bordeaux ; elle frappe à coups redoublés sur cette sensibilité qui la rendait si charmante ; elle s’applique enfin à mourir à tout autre sentiment que la haine d’elle-même et la crainte des jugemens de Dieu. Mais, dans les mortifications les plus dures et jusque sous le cilice et les pointes de fer, elle garde les mêmes qualités et presque les mêmes défauts, le dévouement, la douceur, la délicatesse, la grace languissante qui s’ignore elle-même et que rien n’a pu détruire, avec la hauteur et en même temps la subtilité ingénieuse qu’elle tenait de sa nature, que toute son éducation avait cultivées, et que la sœur du grand Condé, l’écolière de Corneille et aussi de La Rochefoucauld, ne pouvait perdre qu’avec la vie.


VICTOR COUSIN.