après une traversée de trois jours, la Fleur de Lis rallia l’amiral, qui louvoyait avec l’escadre sous les îles Sapienza, devant Ibrahim, campé à Modon avec son armée. Des dépêches de France annonçaient qu’une expédition réunie à Toulon s’embarquait pour la Morée, afin de contraindre les Turcs à vider le pays. À cette nouvelle, le pacha avait rappelé les cavaliers qui ravageaient le Péloponèse et concentré ses forces entre Navarin et Modon. Voulait-il disputer la Grèce aux bataillons français et s’opposer à leur débarquement, ou bien exécuter un dessein long-temps caressé, qui consistait à transporter ses troupes à Nauplie, sur une flotte attendue d’Égypte, pour s’emparer du siège du gouvernement hellénique ? Tout était à craindre de la rage de ce vainqueur farouche, qui sentait sa proie lui échapper. Ce fut alors que l’amiral vint bloquer le golfe de Kalamatha. L’armée ottomane bivouaquait sur le rivage ; du pont des navires, nous entendions ses feux d’exercice répercutés par les échos du Taygète. Nos équipages, dans l’espoir de quelque entreprise désespérée d’Ibrahim, se préparèrent à un combat suprême, et, tandis que les vaisseaux et les frégates défilaient en ligne le long de la côte, les bricks et les corvettes cherchaient au large la flotte ennemie pour la signaler au corps de bataille.
Cependant, tout en s’observant, les Français et les Turcs, qui, sans haine dans le cœur, ne braquaient qu’à regret leurs canons les uns contre les autres, entretinrent des relations amicales, pareils à ces preux de la chevalerie qui, avant de se couper la gorge, devisaient galamment à l’ombre de la forêt. Selon l’habitude prise dès le commencement de cette singulière guerre, l’amiral se rendit souvent auprès d’Ibrahim pour le conseiller, l’adoucir et tâcher de lui faire comprendre la situation exacte des choses et les dispositions arrêtées des puissances. Les frégates mouillaient dans les eaux de Modon, les aides-de-camp portaient des lettres, et, la diplomatie aidant, les difficultés s’aplanirent peu à peu.
Un matin, l’amiral signala à la Fleur de Lis d’aller réclamer du pacha trois philhellènes faits prisonniers la veille par les Turcs. La frégate, le pavillon de parlementaire au mât, vint mouiller sous le château de Modon, et plusieurs d’entre nous accompagnèrent le commandant. Modon, avec ses fortifications gothiques reblanchies à la chaux par les ingénieurs turcs, retentissait alors des hurlemens d’un camp barbare. Des soldats déguenillés, des paysans grecs menacés du bâton et courbés sous des fardeaux, montaient du rivage à la forteresse ; le long du quai, des fumeurs assis sur des nattes regardaient les Mainottes décharger leurs barques remplies de volailles, de moutons, de fruits et de légumes. À l’approche du canot, les travaux furent suspendus, les yeux se dirigèrent vers nous ; les portefaix, les enfans, les vendeurs, les oisifs, affluèrent à la cale ; les Turcs seuls ne bougèrent pas. Des