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de 1830 que M. Bitzius voyait s’évanouir ; pasteur de campagne, dévoué de cœur et d’ame au peuple qu’il était chargé de conduire dans les voies de Dieu, il rencontrait à chaque pas son ennemi. Il résolut de lui disputer vaillamment le terrain. À la propagande du mal il sentit que c’était son devoir d’opposer le prosélytisme d’un enseignement chrétien, d’un enseignement naïf, attrayant, aimable, revêtu des formes les plus vives et les plus accessibles au peuple. Pourquoi ne peindrait-il pas la vie du peuple lui-même ? pourquoi ne le forcerait-il pas à réfléchir en lui racontant sa propre histoire ? Quel plus beau sujet que celui-là pour un observateur inspiré, pour un artiste que de nobles passions enflamment ? M. Bitzius avait trouvé sa vocation : son premier ouvrage parut en 1836.

Cet ouvrage, intitulé le Miroir des Paysans ou l’Histoire de Jérémie Gotthelf, est la biographie d’un pauvre villageois du canton de Berne. Issu d’une famille de paysans où l’aisance ne manquait pas, Jérémie Gotthelf est cependant, dès ses plus jeunes années, soumis aux rudes épreuves de la misère. La cupidité, l’égoïsme, la mauvaise conduite, les jalousies et les discordes intérieures ont peu à peu ruiné et dispersé cette malheureuse famille. À huit ans, le petit Jérémie, à peine sevré des caresses de sa grand’mère, est inscrit parmi les mendians de la commune. Ce qu’il devient alors, l’éducation qu’il reçoit, les exemples dont il est entouré dans les différentes conditions où le sort le place, sa vie de bohémien, son vagabondage de ferme en ferme, tout cela compose le tableau le plus triste. Ce n’est pas seulement la vie d’un mendiant que l’auteur a voulu retracer, c’est une société tout entière. Il ne ménage pas les gens des villes, il n’a pas l’intention de dissimuler en rien la dureté des riches, les abus et les injustices du monde ; la méchanceté humaine, partout où il la rencontre, est flétrie en traits vifs et brûlans. Il est vrai que la scène, dans la première moitié du roman, est placée avant 1830, avant cette ardente époque où tous les cœurs semblèrent transfigurés par des espérances si belles. Dévoué à ses paysans, l’auteur sait bien que les plus coupables parmi eux ne sont pas toujours seuls responsables de leurs fautes ; ne craignez rien pourtant ; ce ne serait pas lui qui forgerait des excuses menteuses ; une impétueuse sincérité l’anime : il n’oublie pas de châtier le vice, il n’oublie pas de montrer à ses vagabonds irrités que la cause principale de leurs maux, que leur plus terrible ennemi est au fond de leur conscience. Ce mélange de sévérité et de tendresse indique tout d’abord la profonde, la paternelle inspiration de M. Bitzius telle que nous la retrouverons sans cesse dans ses écrits. C’est un touchant épisode que l’amour de Jérémie et d’Anneli au milieu des sombres images de cette histoire. Cet enfant qui n’a eu que l’enseignement du mal, ce valet méprisé chez qui des maîtres exigeans et cupides n’ont éveillé que des