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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/485

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précieuse sans doute, mais bien souvent informe, il aperçoit des trésors et il prend plaisir à les mettre en lumière. On peut lui reprocher çà et là de ne pas encore dessiner ses figures avec précision et netteté, de se laisser aller à de trop longs développemens où la pensée principale semble se perdre. Le paysan est bavard, il attache du prix aux moindres détails, les plus petits événemens doivent avoir place dans son récit ; ce trait de caractère est finement reproduit par M. Jérémie Gotthelf ; il oublie seulement que la langue du paysan, même dans ses tours et détours, est vive et arrêtée, que ses métaphores hardies, empruntées directement du spectacle des choses réelles, dessinent vigoureusement la pensée et empêchent la confusion. C’est une étude à poursuivre ; M. Gotthelf sera bientôt maître dans cet art si difficile de faire parler les gens de la campagne sans altérer ni la vérité ni les conditions de la poésie. Parmi les traditions légendaires mises en œuvre par M.. Gotthelf, je recommanderai les plus courtes, l’Épine noire, le Chevalier de Brandis, le Petit oiseau jaune et la pauvre Marguerite, tableaux bien composés où l’antique parfum de la légende s’associe gracieusement à cette franche odeur de réalité qu’exhale chez le romancier suisse la ceinture de la vie moderne. Quant aux scènes plus récentes, elles font déjà pressentir en certaines parties ce que l’auteur accomplira un jour. Dans ce joli roman, la Réconciliation, qui ne contient pas moins de trois volumes des Scènes et Traditions, M. Gotthelf montre déjà avec quelle finesse il observe les sentimens de l’humanité et comme il excelle à les peindre. La théologie chrétienne est admirable pour faire pénétrer profondément dans les mystères du cœur, pour découvrir à des yeux attentifs les replis les plus ténébreux de la conscience ; on a été surpris de trouver chez les solitaires, au fond des thébaïdes les plus reculées, cette prodigieuse science de l’homme. Le chrétien, le pasteur dévoué à son petit troupeau, initié à maints secrets de famille, obligé de veiller sans cesse et sur lui-même et sur les autres, ne pourra-t-il gagner rapidement dans une telle étude des trésors d’expérience ? Quelles ressources, s’il veut peindre l’homme en de dramatiques tableaux ! Comme cette sagesse pratique donnera un intérêt, une vie, une saveur merveilleuse aux créations de son art ! La Réconciliation n’est pas un chef-d’œuvre, toutes les parties n’en sont pas également heureuses ; mais les aventures du paysan Christen et de sa femme Ameli, ce ménage si long-temps joyeux, et troublé, attristé maintenant par la discorde, l’entêtement de la femme, puis les combats qui s’élèvent dans son cœur, ses regrets, ses pleurs, son retour enfin toute cette naïve histoire, bien que renfermée dans la sphère la plus humble, remplit l’ame d’une pénétrante émotion, tant la vérité est poignante, tant cette franche imagination est échauffée par une science venue du cœur !