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faut qu’il y ait dans cette anse abandonnée un vague sentiment du bien, une confuse aspiration vers une existence mieux réglée. Ah ! si quelque influence salutaire pouvait faire germer la semence qui s’ignore, peut-être que tout changerait bien vite. Ce sera le maître d’Uli qui remplira ce bienfaisant office. Le maître d’Uli, Jean, est un paysan laborieux, un cœur droit, une nature grave et douce ; il a l’expérience des hommes, et la pratique des devoirs chrétiens a initié cette ame naïve aux secrets les plus élevés de la morale. Ce n’est, croyez-le bien, ni un prédicateur, ni un savant ; sa science, il la doit aux enseignemens du travail, aux réflexions que chaque jour apporte, aux bonnes paroles qu’a prononcées le pasteur, et qui ont fructifié dans son esprit. L’éducation d’Uli par le paysan est un tableau plein de vérité et de charme ; lorsque le maître appelle auprès de lui le malheureux valet, lorsqu’il lui exprime avec une gravité familière le sens sérieux de la vie, qu’il lui ouvre les yeux sur lui-même, qu’il l’amène peu à peu à des doutes, à des réflexions vagues, signes précurseurs du repentir, il y a là tout ensemble une franchise rustique et une dignité patriarcale merveilleusement exprimées. La scène se passe pendant une fraîche soirée de la fin de l’hiver, à la porte de l’étable, où une vache en travail est couchée sur son lit de fourrage et mugit par instans d’une façon plaintive. Assis sur un banc et fumant leurs pipes, le paysan et son valet discutent. Le valet est bourru, violent, soupçonneux ; le maître est bon et dévoué. Avec ce sang-froid imperturbable que les diplomates, dit l’auteur, admirent chez les gens de la campagne, il ne s’inquiète pas de la mauvaise humeur d’Uli et continue son sermon. À chaque mauvaise réponse il oppose une vérité simple, à chaque objection hargneuse une parole consolante. Cependant la vache, prête à mettre bas, s’agite sur la paille de l’étable ; il faut aller de temps en temps auprès de la pauvre bête et l’assister dans son travail. Ce mélange de soins rustiques et de moralités sérieuses produit une impression singulièrement vraie ; ce ne sont pas là des leçons apprises dans les livres ; la morale, dans de telles scènes, est comme une plante vigoureuse née de la rosée et du soleil ; le langage du maître emprunte à la réalité qui l’entoure une force inattendue ; on y sent la sève circuler, on sent que c’est bien le résultat et l’expression de la vie. L’éducation d’Uli ne sera pas terminée en un jour ; il faut que l’idée du bien, éveillée dans son cœur, s’y développe peu à peu. Son maître lui a expliqué naïvement la nécessité et la salutaire influence des rudes labeurs, il lui a fait entrevoir le jour où le travail, l’économie, la bonne conduite, lui assureront une existence indépendante ; dès-lors Uli a pris goût à la vie, il s’est attaché à son devoir, une transformation profonde s’est opérée dans son ame ; tout n’est pas fini cependant. Dépourvu d’expérience et prompt au découragement, il a besoin que son guide le surveille sans cesse. Maintes scènes originales et charmantes fourniront