d’un cœur joyeux et s’encourage ainsi lui-même à la pratique du bien. De telles habitudes sont toutes nouvelles, comme on pense, à la ferme de Joggeli. Maître ou valets, personne ne va au temple et ne connaît seulement le visage du pasteur. Uli sera en butte aux plaisanteries les plus grossières, mais il a réponse à tout. Ces scènes d’intérieur sont décrites par M. Gotthelf avec un admirable sentiment de la réalité. Tout cela est vivant, tout ce monde de la ferme, palefreniers, charretiers, vachers, est reproduit en traits qui ne s’oublient pas. Si le peintre semble quelquefois se perdre en de menus détails, l’intérêt cependant ne languit jamais ; des incidens variés viennent sans cesse agrandir le tableau et compléter la peinture des mœurs rustiques en même temps que l’éducation morale d’Uli. Au milieu de cette lutte de tous les instans, que de fois le pauvre Uli regrette son premier maître ! Il a tort ; il saura plus tard que Dieu a ses desseins cachés, et qu’il faut suivre docilement, à travers les épines et les ronces, la voie qu’il nous indique. D’abord, son éducation ne serait pas complète, s’il n’avait pas à lutter ; la pratique du bien lui était trop facile sous son bon maître Jean ; il n’est pas mal que, pour s’affermir dans la droite route, il ait affaire à un patron orgueilleux et défiant, à des valets sans conscience, à des obstacles de toutes les heures ; puis, c’est peut-être là que sa récompense l’attend. Parmi les servantes de la maison, il y a une jeune fille dont la beauté et le chaste maintien l’ont frappé : c’est Bréneli. Une sorte de noblesse naturelle brille dans toute sa personne. À voir ses allures décentes, sa bonne tenue si modeste, on comprend que la dignité ne tient pas au genre de travail, mais au caractère. Bréneli occupe une position à part dans la famille ; née en dehors du mariage, elle ne connaît ni son père ni sa mère ; la femme de Joggeli en sait plus long sans doute, car elle appelle Bréneli sa petite cousine, et elle veille sur elle avec une sollicitude où la charité n’entre pas toute seule. Bréneli cependant n’est pas autre chose qu’une humble servante ; sans parens et sans nom, elle ressent parfois une tristesse amère qu’elle ne surmonte qu’à force de courage. Cette belle jeune fille, Uli l’aime bientôt sans se l’avouer à lui-même ; son cœur lui rit dans le corps chaque fois qu’il la rencontre ; il est heureux de voir sa physionomie douce, sa gravité prévenante, son chaste et bienveillant sourire. Bréneli, de son côté, malgré la réserve de ses allures, semble veiller sur Uli ; elle est son amie inconnue et discrète au milieu des inimitiés qui le menacent. Si un complot est formé contre Uli, Bréneli sait tout, elle a tout vu, et les mauvais desseins seront déjoués. Il y a beaucoup de grace, il y a je ne sais quelle pureté charmante dans ces naissantes amours, pureté qui n’a rien de faux, rien de factice, et qui s’associe parfaitement à la naïve rudesse des mœurs populaires. Auprès des grossières figures du palefrenier et du charretier, à côté de la physionomie soupçonneuse
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