à ce qu’il semble. Comme on s’y intéresse pourtant ! Comme on suit avec charme, avec anxiété, ces alternatives d’un cœur amoureux et fier ! Comme on tremble pour Uli, comme on a peur pour Bréneli ! qu’elle ne repousse l’ame dévouée qui lui offre toute sa vie et tout son amour ! La nuit porte conseil, dit le vieux proverbe. De retour à la ferme, Bréneli, pendant toute la nuit, ne peut fermer l’œil. Elle pense à Uli. Sa fierté a disparu ; il ne lui reste plus dans l’ame que le souvenir de son amour ; elle entend encore résonner à son oreille la chère voix qui lui demande pardon, qui avoue naïvement une folle erreur, qui lui jure une affection éternelle. Elle est persuadée enfin ; elle sait qu’Uli n’a jamais cessé de l’aimer ; elle craint alors d’avoir désespéré ce cœur candide, elle a peur qu’Uli ne soit parti pour toujours ; troublée, inquiète, elle ne saurait demeurer en place ; elle se lève long-temps avant l’aube, et descend dans la cour. Une forme vague lui apparait auprès de la fontaine : c’est Uli, elle s’approche doucement, doucement, le cœur rempli d’une tendresse ineffable, et pose ses deux mains sur les yeux de son fiancé. — C’est toi, Bréneli, dit le jeune homme, — et Bréneli est dans ses bras, versant des flots de larmes. Les scènes qui suivent, les fiançailles, le mariage, les admirables discours du pasteur, la noce tranquille et chaste dans la maison de l’ancien maître, sont éclairées des plus purs rayons de la beauté morale. Cette franche et familière histoire, où tant de petites aventures ont l’air de se succéder au hasard, se termine avec une majestueuse noblesse ; à cette lumière, tout s’ordonne, tout se classe naturellement, les moindres détails ont leur signification, et une merveilleuse unité s’établit. Image vraie de la destinée humaine, où toujours, lorsque la loi du devoir y préside, un événement, une journée, une heure, un éclair au moins, un éclair du foyer céleste illumine et couronne l’existence entière !
Ce livre, Uli le valet de ferme, est aujourd’hui comme le manuel du paysan d’un bout à l’autre de la Suisse allemande. Dans chaque ferme, on a le précieux volume ; on le lit aux heures du repos, on le lit le dimanche après la Bible. Quand on a fini, me disent des personnes bien renseignées, on recommence ; de la dernière page, on revient sans se lasser à la première, on ne veut pas se séparer d’Uli. Il semble que ce soit en même temps un type, un modèle respecté et un être réel, un brave compagnon qu’on a connu, qu’on a vu à l’œuvre, qu’on a tendrement aimé et dont on se souvient avec bonheur. Bien mieux, il est toujours là ; on le voit, on l’entend, on se règle sur son exemple. Bien des gens qui n’avaient jamais eu l’idée d’aller au temple ou à l’église, ou qui redoutaient les moqueries du prochain, sont devenus moins négligens ou plus courageux, assure-t-on, depuis qu’Uli leur a montré la route. Uli est l’idéal que le pauvre valet de ferme voit sans cesse devant ses yeux, qui donne du cœur à tout travailleur rustique