y a, je l’ai dit, un mélange de gaieté vaillante et de noblesse morale dans le tableau d’Uli s’élevant peu à peu à la dignité d’homme ; là, tout est jeune, frais, joyeusement épanoui ; on respire ces parfums vivifians qui semblent s’exhaler des sillons nouvellement remués, lorsque le travail, par une belle matinée, ouvre l’intelligence la plus humble à des émotions ineffables. C’est l’adolescence de l’ame et du corps sous la clarté d’un ciel pur. Dans Uli le fermier, la jeunesse est passée avec ses suaves et austères enchantemens ; des obligations plus graves sont imposées à un âge plus mûr. Uli a pris à ferme le domaine de Joggeli ; il doit payer chaque année une forte somme, sans compter les intérêts de l’argent que lui a prêté son ancien maître. L’entreprise est sérieuse ; le fardeau pèse lourdement sur ses épaules. Sans doute il est actif, courageux, et il a pour femme une ménagère intelligente et dévouée, comme on n’en trouverait pas une seconde dans tout le canton de Berne. Que de soucis cependant ! que de nuits sans sommeil ! La veille, il n’avait qu’à songer au présent ; il saura maintenant toutes les inquiétudes de la responsabilité. Se trouver le chef d’un domaine considérable et pourtant ne pas être en réalité le vrai maître, commander là où il a été valet et être obligé de penser sans cesse que cette belle situation est précaire, que son bonheur dépend de la pluie et du soleil, qu’une seule négligence peut tout compromettre, qu’il est exposé du soir au matin à redevenir Gros-Jean comme devant, ah ! le pauvre Uli apprend chaque jour combien cela est dur. Il faut qu’il apprenne encore bien d’autres secrets. Ce livre est un véritable enseignement pratique, un naïf et poétique manuel de sagesse populaire. Les imprudences, les fautes, les leçons souvent cruelles de la vie, les consolations les plus instructives, tout y occupe sa place. Uli semble bien changé par instans ; dévoué aux engagemens qu’il a pris et peu habitué à ce continuel souci de l’avenir, il devient triste et taciturne ; sa chère Bréneli, toujours si ingénieuse à répandre la gaieté dans la maison, ne parvient plus à le dérider. Il est sombre, il a perdu sa bonne conscience d’autrefois, il a oublié Dieu comme au temps où rien ne l’intéressait dans la vie, car des causes contraires amènent souvent des résultats assez semblables, et ce qu’a produit une insouciance brutale, la préoccupation trop constante des intérêts les plus légitimes peut le produire également. La différence, c’est qu’Uli ne renie pas Dieu ; il oublie seulement de recourir à son aide. Ce n’est pas en paroles, ce n’est pas dans sa croyance qu’il est athée ; c’est dans sa conduite de chaque jour. Hélas ! combien de gens le sont ainsi ! Ces graves instructions religieuses ressortent toujours chez M. Gotthelf du développement même de l’action ; point de dogmatisme, point de morale intempestive ; les scènes se succèdent, la fable s’agrandit, le tableau des embarras et des infortunes du fermier se déroule avec une émotion croissante, et la
Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/495
Apparence