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fra Angelico, il est facile de prévoir ce que la foule en dirait, si la foule n’était retenue par l’éclat de ces deux noms. Sans connaître précisément ce qu’ils valent, sans se rendre compte des épreuves qu’ont traversées ces deux artistes éminens, elle se rappelle confusément qu’ils sont grands et méritent son respect. Bien que les œuvres signées de Nicolas Poussin et de fra Angelico ne produisent pas dans le salon carré l’effet qu’elles devraient produire, qu’elles produiraient infailliblement, si elles nous étaient montrées d’une manière plus intelligente, la foule n’ose pas les blâmer, parce qu’elle craint de se tromper, et cependant, tout en s’abstenant de les déclarer incomplètes, insignifiantes, elle n’ose pas admirer, et l’admiration ne lui coûterait rien, si l’architecte n’eût pas pris à tâche de distraire son attention. Cette hésitation de la foule, trop facile à constater, condamne sans réplique l’œuvre de M. Duban. Je ne veux pas m’évertuer à discuter le génie de Poussin et de fra Angelico ; je ne veux pas peser la valeur des pensées qu’ils ont exprimées. Ce qui est acquis depuis long-temps à l’évidence, c’est qu’ils occupent dans l’histoire de l’art une place considérable, et que cette place, que personne jusqu’à présent n’avait songé à leur contester, paraît remise en question, grace à M. Duban. L’architecte, en effet, a si bien réussi dans l’expression de sa haine contre la peinture, que Poussin et fra Angelico sont comme non-avenus pour ceux qui ne les ont jamais étudiés que dans le salon carré, tel qu’il est aujourd’hui. Heureusement Poussin et fra Angelico, pour demeurer ce qu’ils sont, n’ont pas besoin de l’estampille de M. Duban. Le caprice de l’architecte ne peut rien enlever à la pureté de leur génie. Les aberrations de la fantaisie, traduites en dorures sans fin, en moulures sans nombre, ne ternissent pas la splendeur de leurs conceptions.

La galerie d’Apollon est habilement restaurée. Sans vouloir exagérer les difficultés de cette tâche, je reconnais cependant qu’elle exigeait un goût délicat, un zèle assidu. M. Duban, en reprenant l’œuvre de Lebrun, a compris qu’il devait accepter sans réserve les données posées par le peintre favori de Louis XIV. Cette preuve de bon sens n’est sans doute pas un titre de gloire ; toutefois, au milieu du chaos qui règne aujourd’hui dans l’architecture, au milieu de la confusion qui dénature aujourd’hui tous les styles, le bon sens doit être compté comme une faculté importante, — un esprit chagrin dirait comme un don précieux. Je suis donc très disposé à louer la restauration de la galerie d’Apollon. Je ne crois pas que l’accomplissement de cette tâche ait coûté des efforts surhumains ; je ne crois pas que, pour retrouver les arabesques imaginées par Lebrun, il ait fallu épuiser toutes les ressources de l’érudition. De tels éloges prodigués à bonne intention me rappellent une fable qui trouve de nos jours de applications nombreuses : l’Ours et l’Amateur de jardins. Pour restaurer la galerie d’Apollon, le bon sens et le zèle suffisaient complètement. Il faut remercier M. Duban d’avoir respecté, d’avoir rajeuni, en la ménageant, la conception de Lebrun. Pousser plus loin la louange serait méconnaître la vérité et mêler à l’approbation une raillerie presque injurieuse. S’extasier sur la distribution des dorures, sur le choix des couleurs que le temps avait ternies sans les effacer, n’est à mon avis qu’un pur jeu de paroles, et les panégyristes, sans y prendre garde, écrasent le héros qu’ils veillent exalter. Quelle valeur, quelles facultés attribuent-ils donc à M. Duban ? Ils lui prodiguent les épithètes les plus flatteuses en parlant de cette restauration, comme s’il s’agissait