Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marche, ce qu’il avait pu en un mot, parce qu’il l’avait voulu. De la sorte, ils auraient indirectement donné à entendre que dans ce monde, si l’on peut, c’est parce que l’on a voulu tout juste ce qu’on finit par pouvoir. Telle n’est point la morale de la fable de M. Browning. Si le Paracelse du poème arrive en médecine et en chimie à des résultats importans, ce serait plutôt parce qu’il avait ambitionné davantage et attire chose : la science absolue, — et parce qu’il a su, un instant du moins, renoncer à ses prétentions infinies. En prenant sa vocation pour une volonté du ciel, il ne s’était pas trompé : ce qui aspirait chez lui, c’était bien une force et une puissance capable d’accomplir ce que Dieu voulait ; mais c’était aussi une force qui ne savait pas encore tout ce que Dieu voulait qu’elle sût, et qui devait d’abord s’y heurter pour l’apprendre. Un désir qui indique des facultés, et une direction qui veut dire qu’elles n’aboutiront pas sans changer de route, c’est à peu près ainsi que le poète juge dans la personne de son héros les aspirations de toute jeunesse.

« Je suis ici, répond Paracelse à Festus, qui se réjouit de ses triomphes ; ici ! comme si ce mot seul ne signifiait pas défaite. Une chaire à Bâle !… Puisque vous voyez là une si magnifique destinée, puisqu’à vos yeux il n’est que juste et naturel que toute ma vie ait été déshéritée de ses joies pour me mettre à la hauteur d’une pareille position, loin de moi l’idée de nier que je sois parfaitement apte à occuper le petit coin qui m’est assigné dans l’espace infini…

« FESTUS. — Vous n’imaginez pas que je comprenne rien à votre langage.

« PARACELSE. — Vu avez connu mes espérances, l’histoire en est courte. Je ais enfin qu’elles sont irréalisables, que la vérité est aussi loin de moi que jamais, que j’ai gaspillé ma vie, que m’en désoler serait vain, que tout effort pour replâtrer ou rapiécer l’irrémédiable serait également superflu, et tout cela m’a été inculqué par la bonne et vieille méthode sans réplique : celle de la violence, de par le droit du plus fort.

« FESTUS. — Cher Auréole, se peut-il que mes craintes aient été fondées ? Dieu ne peut pas vouloir…

« PARACELSE. — Ah ! ah ! c’est là ce que j’admire le plus, que des hommes de votre valeur puissent parler sans cesse de la volonté de Dieu, comme ils disent ; on jurerait qu’il suffit de lever un peu les yeux pour la voir inscrite en gros caractères sur la voûte du ciel. IL est à peine sage de mettre sur le en gros caractère sur la voûte du ciel. Il est à peine sage de mettre sur le tapis de tels sujet : les doutes abondent et la foi est faible. La volonté de Dieu à mon égard ! Je la connais à peu près autant qu’une pauvre brute muette et torturée peut deviner celle de son maître, d’après les coups qui pleuvent sur elle, où qu’elle aille, et qui la poussent à rester le plus long-temps là où elle a le moins à pâtir. Je suis dans le même cas, et voilà pourquoi je poursuis mon chemin, dompté et non convaincu. Je sais aussi peu pourquoi je mérite d’échouer que pourquoi j’ai eu meilleur espoir dans ma jeunesse ; je sais seulement que je ne suis pas le maître, et je reste ici jusqu’à nouvel ordre, comme un obéissant manœuvre…

« FESTUS. — Si j’interprète bien vos paroles, j’avoue que je ne puis pas me