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pitié d’une jeune fille, la Rosita Corrizuelo… Elle se recommande à vous de toute la force de son ame et de son coeur…

— Diable ! interrompit Patricio, demander l’aumône à domicile, voilà qui est choquant ! Tenez, la vieille, prenez ceci et ne revenez plus…

Il lui remit une petite pièce d’or enveloppée dans une feuille de papier qu’il tira de sa poche, la poussa doucement à la porte et descendit dans la rue. Tia Dolorès, toute surprise d’un accueil à la fois si froid et si généreux, le suivit du regard et dit en hochant la tête : Sur mon ame, voici un cavalier accompli ! Quel dommage qu’il comprenne si peu la langue du pays !

Le soir même, Rosita vint trouver la ï vieille, elle brûlait d’impatience de connaître l’issue de sa démarche. Eh bien ! Tia, s’écria-t-elle en entrant, eh bien ! qu’a-t-il dit ? Il a deviné que celle qui vous envoyait était la même qui passait si souvent devant son balcon, n’est-ce pas ? Il a eu le temps de me voir, car hier je suis restée plus d’une demi-heure à aller et venir devant lui, et comme il faisait grand chaud, j’avais laissé tomber mon voile…

— Tiens, dit la duègne, voilà sa réponse…

— Jésus Maria ! s’écria la jeune fille, une pièce d’or ! Tenez, Tia Dolorès, prenez ces quatre réaux pour votre peine ; vous avez mieux parlé que le scribe n’eût écrit. Bah ! tous les parafes d’un escribano ne valent pas quatre paroles dites par une langue bien affilée ! Voyons, que vais-je faire de tout cet argent là ? D’abord il me faut une paire de souliers neufs ; ceux que j’ai là ont bien une semaine de service. Et puis… Voilà le picantero !

Et elle sortit en appelant de toutes ses forces : Picantero ! Picantero !

Le marchand ne se le fit pas dire deux fois ; il s’assit sur une borne et présenta à la jeune fille sa petite boutique abondamment pourvue d’oranges, de sucreries et de gâteaux. Rosita en prit autant qu’elle en pouvait emporter dans ses deux mains et paya sans marchander ; mais elle appela ses petites voisines et les régala sur le trottoir. Il fallait voir ces enfans folâtres et gourmandes, les cheveux au vent, l’œil noir et vif, dévorer les friandises, sauter, danser, s’ébattre là au coin d’une rue comme une volée de perruches à l’ombre d’un bosquet. Quand leurs cris devenaient trop perçans, Rosita, prenant un air de reine, leur imposait silence, et ses compagnes lui obéissaient. C’était à leurs yeux une grande fille, elle avait quatorze ans !

La pièce d’or, changée en menue monnaie ; fondit dans les mains de Rosita comme les sucreries entre ses dents ; quand elle eut fini avec le picantero, la jeune fille s’aperçut qu’il lui restait une demi-piastre. Qu’en faire ? à quoi la dépenser ?… Cette question fut bientôt résolue. Au cri de : Quarenta mil pesos ! répété d’une voix sonore et vibrante