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— Je vous le répète, reprit don Patricio, retirez vous et laissez-moi seul.

— Tout à l’heure… Dites-moi, don Patricio, allez vous prendre votre costume d’officier ? Je serais si contente de vous voir avec des galons et des épaulettes ! Pourquoi ne voulez-vous donc pas que je regarde les images qui sont dans ce grand livre ? C’est vous qui les avez peintes, n’est ce pas ? — Et elle tournait les uns après les autres les feuillets de l’album. Aux marques d’impatience qui échappaient à don Patricio, elle répondait : Je pars, je pars à l’instant, quand j’aurai fini de voir les images ; puis elle continuait de les examiner, en murmurante demi voix : Oh ! que c’est joli ! des navires, des clochers, des cavaliers avec des lances, tout cela en couleur ! — Tiens, s’écria-t-elle tout d’un coup avec surprise, une dame ! Quelle est cette dame, don Patricio ? Elle est de votre pays, car ses cheveux sont blonds. Quel teint frais, quel regard doux et affable… Moi qui suis si brune ! ce n’est pas ma faute, si j’ai la couleur de mon pays. Dites moi donc le nom de cette belle dame ! — C’est ma sœur, répondit le lieutenant Patrick d’un ton sévère. – Et il cherchait à retirer l’abum des mains de Rosita.

— Attendez donc, reprit celle-ci, que je la regarde à mon aise : elle vous ressemble, caballero ; ce sont là vos traits, votre physionomie… elle est bien jolie, votre soeur. Donnez-moi ce portrait ?

— C’est déjà trop que je vous l’aie laissé voir, dit don Patricio en fermant l’album. Si ma sœur savait que j’ai livré son image aux regards d’une personne étrangère, inconnue… elle ne me le pardonnerait jamais. Dans notre pays, señorita, les jeunes filles ne se permettent point de lever les yeux sur les jeunes gens à la promenade : elles vivent dans une grande retenue et évitent avec un soin extrême toute démarche…

— Quel drôle de pays ! dit Rosita.

— Un pays, señorita, où les mères aussi veillent sur leurs filles, où les jeunes filles ne s’éloignent point imprudemment de leurs mères. Retournez près de la vôtre et n’abusez point de la liberté qu’elle vous laisse ; écoutez les conseils de don Gregorio : c’est un saint homme, plein de sagesse, et doué d’expérience. Allez, señorita.

À ces paroles sérieuses, prononcées avec une certaine solennité, Rosita leva sur le lieutenant Patrick un regard à la fois surpris et ému. — Vous me chassez ? Dit-elle à demi voix… je vous ennuie ! Que voulez-vous, don Patricio ! une pauvre fille du faubourg ne peut avoir le ton et les manières d’une grande dame : apprenez-moi à parler, à me conduire comme vous l’entendez…

— Je ne vous chasse point, répondit don Patrick, mais j’ai besoin d’être seul. Si je me suis exprimé si franchement tout à l’heure, c’est