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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/809

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ses bas de soie, qui furent bientôt mis en pièces. Ceux qui la voyaient courir à pied sur cette grande route encombrée de voitures et de bêtes de somme, l’œil hagard et haletante, levaient les épaules et souriaient en lui jetant quelques sarcasmes qu’elle n’écoutait pas. Elle eut beau se hâter, il ne lui fallut pas moins d’une heure et demie pour franchir l’espace qui sépare Lima du Callao. Au moment où elle atteignait la plage, le lieutenant Patrick mettait le pied sur le pont de sa frégate. — J’ai le temps de le rejoindre avant qu’il ne lève l’ancre, pensa la Rosita, et, sans perdre une minute, elle se précipita dans le premier canot qui s’offrit à sa vue, en criant au marinier de la conduire à bord.

A ver el dinero, niña, voyons ton argent, ma fille ? répondit le marinier avec le plus grand calme.

Rosita tâta la pointe de son châle, où elle avait coutume de nouer quelques réaux ; ce jour-là, elle n’avait point songé à prendre d’argent.

— Allez toujours, dit-elle au batelier ; il y a quelqu’un à bord de la frégate qui paiera pour moi… Partons vite, partons, et je vous récompenserai généreusement au retour.

— Je n’entends point de cette oreille-là, répliqua le marinier en se croisant les bras ; débarque, et va chercher ton argent à Lima, si tu veux.

— Je vous promets une once d’or, deux onces d’or, que vous aurez ce soir ; pour l’amour de Dieu, menez-moi à bord !…

— Pourquoi pas mille piastres ? Il n’en coûte rien de promettre de l’or, même quand on court les pieds nus… — En parlant ainsi, le batelier lui tourna le dos et se mit à rouler une cigarette entre ses doigts. Rosita se tordait les bras de désespoir ; elle criait, pleurait, et fixait sur la frégate des regards effarés.

— Que veux tu faire à bord de l’Anglais ? dit froidement le marinier. Le voilà qui commence à lever son ancre ; personne sur le pont, officier ou matelot, n’a le temps de causer d’amourette. Tiens, voilà la yole qui vient chercher le commandant ; il ne reste plus que lui à terre. Quand il abordera son navire, on hissera les voiles et adieu la frégate.

— Être si riche, et n’avoir pas sur soi de quoi payer le plus petit bateau de la rade ! disait Rosita en pleurant. J’aurais le temps encore ; il me reste un quart d’heure, et ce quart d’heure n’est pas à moi, faute de deux ou trois réaux !…

Comme elle s’abandonnait ainsi à la violence de son chagrin, la yole du commandant, montée par six matelots et un aspirant, s’approcha doucement du quai. Rosita s’y jeta sans hésiter, à la grande stupéfaction des rameurs et du jeune officier auquel ils obéissaient.

— Déposez cette femme à terre, dit d’un ton de voix qu’il voulait