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l’animosité des populations chinoises s’est souvent trahie par des actes sinistres, par de lâches et perfides agressions. Nous avons toujours pensé qu’en dépit de ces violences, le régime de l’isolement ne pourrait se rétablir en Chine. L’Orient a définitivement cessé d’être immuable ; mais quelle sera l’issue de la transformation qui s’y prépare ? Telle est la question qui se pose encore aujourd’hui devant nous et qu’on ne saurait essayer de résoudre sans avoir étudié la double action que l’Europe a été appelée à exercer sur les destinées du Céleste Empire : dans le domaine politique, par les armes de l’Angleterre ; dans le domaine moral, par la prédication de l’Évangile.


I

D’après une statistique dressée en 1813 par les mandarins chinois, et dont un recueil officiel, présenté à l’empereur Tao-kouang, a publié les évaluations, le Céleste Empire compte 361 millions d’habitans répandus sur une surface de 3,362,000 kilomètres carrés. C’est environ 108 habitans par kilomètre, chiffre qu’on ne soupçonnera pas d’exagération quand on voudra réfléchir que cette population spécifique est à peu près celle des Pays-Bas et du département du Pas-de-Calais, qui n’est point cependant le département le plus peuplé de la France. D’ailleurs, le trait le plus frappant, le plus caractéristique de l’empire chinois, c’est précisément l’excès de la population : cette extrême densité des habitans peut seule expliquer la difficulté qu’éprouve le peuple à s’y procurer sa subsistance. Cette race infatigable ne laisse cependant en friche aucun morceau de terre susceptible de culture ; les chemins ne sont guère en Chine que des sentiers servant à contenir les terrains étagés que féconde l’irrigation. Les alluvions des fleuves, les moindres espaces conquis sur le lit des rivières ou sur l’océan se trouvent à l’instant circonscrits par des digues et convertis en rizières : hommes, femmes, enfans, tous participent à ce rude labeur. Des millions de pêcheurs vivent sur leurs bateaux, promènent incessamment leurs énormes filets sur les côtes poissonneuses du Céleste Empire, et ne demandent à ce sol si avidement exploité que quelques pieds de terrain accordés à leur tombeau.

Cette activité prodigieuse, jointe à une extrême sobriété, ne suffit pas à préserver les Chinois de la famine. Les sécheresses, les inondations. détruisent souvent la récolte dans des provinces entières. Les chemins sont alors remplis de cadavres : on voit des malheureux exposer leurs enfans nouveau-nés, vendre leurs femmes, leurs fils, leurs filles, pour se procurer quelques alimens ; d’autres se pendre ou se jettent dans les fleuves pour abréger les tourmens d’une trop lente agonie. Des bandes de voleurs se répandent dans les campagnes, pillant tout ce qui leur tombe