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ville de Pe-king sont incalculables. Il n’est pas de ville au monde qui puisse offrir le tableau d’une aussi énorme importation, importation presque sans retour, car le sol est peu fertile dans la province du Petche-ly, et les produits qu’y fabrique l’industrie se dirigent vers le nord. Les bannières nomades campées en dehors de la grande muraille, les Tartares mantchoux et mongols vivent, ainsi que les mandarins de Pe-king, des bienfaits de l’empereur.

Vingt millions sont affectés chaque année par la munificence impériale à l’entretien des canaux et des fleuves ; les provinces s’imposent d’immenses sacrifices pour le même objet. Cependant les canaux s’oblitèrent, les fleuves rompent leurs digues, et l’on craint qu’avant trente ans l’eau ne vienne à manquer dans le grand canal. Le déficit est partout dans le produit des douanes, dans celui des monopoles ; la ferme seule du sel doit à l’état plus de 15 millions. Les hôpitaux, les greniers publics dotés par le gouvernement, voient leurs revenus dévorés par l’avidité des mandarins et des satellites. Ce ne sont point les institutions qui manquent à la Chine ; mais ces institutions sont aujourd’hui comme un arbre épuisé qui ne peut plus porter de fruits. Lapeyrouse l’avait déjà remarqué en 1787 : « Ce peuple, disait-il, dont les lois sont si vantées en Europe, est peut-être le peuple le plus malheureux, le plus vexé et le plus arbitrairement gouverné qu’il y ait sur la terre. »

Comment une révolution n’a-t-elle pas déjà bouleversé cette portion du globe ? Des sociétés secrètes poussent bien l’audace jusqu’à maudire la dynastie régnante, la secte des Pe-lien-kiao ou du Nénuphar s’accroît bien chaque jour de quelques nouveaux affiliés ; mais l’éducation domestique basée tout entière sur le respect des traditions, le tempérament froid et patient du peuple chinois, l’âpre labeur auquel il est assujetti, peut-être aussi cet instinct de subordination propre aux races asiatiques ; tout ce concours de liens naturels et de liens politiques que nous n’apprécions qu’imparfaitement a prévenu jusqu’ici un soulèvement général qui ne fut jamais appelé par plus d’abus.

Cet empire chancelant est entouré de vastes états, tributaires de sa puissance politique et de sa civilisation. La Corée, le royaume annamite qui comprend le Tong-king, la Cochinchine et le Camboge, semblent les satellites de cette bizarre planète Ces états sont livrés à une administration, sinon plus avilie, au moins plus oppressive que celle de la Chine ; ils composent ce qu’on pourrait appeler la Chine barbare. Agité par d’éternelles discordes, bouleversé par la guerre civile, le royaume annamite a surtout perdu ce respect de la vie humaine qui forme le trait distinctif de la grande famille chinoise. On n’y a point, comme dans l’Empire Céleste, cette horreur du sang et des supplices