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couler des torrens de sang sur leur passage. La Corée est restée dépeuplée par ces deux invasions. Dans les gorges resserrées que laissent entre elles les rudes aspérités du sol, ses rares, habitans cultivent le riz, leur nourriture ordinaire ; sur les montagnes, le maïs et le millet. L’inégalité des castes, cette idée étrangère à la Chine, est encore un nouveau fléau pour ce malheureux pays. Quelques milliers de nobles fainéans et déguenillés s’arrogent le droit de vivre aux dépéris du gouvernement et du peuple. Tributaire, dit-on, du Japon, la Corée l’est également de la Chine. Deux fois par an, le souverain de ce misérable état envoie une ambassade à Pe-king. À la neuvième lune, l’ambassade vient recevoir du tribunal des Mathématiques le calendrier ; à la onzième, elle présente à l’empereur les hommages qu’au renouvellement de l’année lui doivent tous les princes vassaux. Refoulés dans leur presqu’île, les Coréens n’ont que deux points de contact avec la frontière chinoise : l’un sur les bords de la mer du Japon, l’autre non loin des côtes que baigne la mer Jaune. C’est là qu’ont lieu, tous les deux ans, les échanges commerciaux entre la Chine et la Corée. Partout ailleurs, des terrains neutres et déserts ou d’impénétrables forêts s’opposent aux communications de la péninsule coréenne avec la province du Leau-tong et la Mantchourie.

Non loin de la Corée, entre la Chine et l’empire du Japon, se rencontre encore un état qui a dû subir, comme la presqu’île coréenne. Une double suzeraineté. Le royaume oukinien, composé de deux groupes distincts, celui des îles Lou-tchou et celui des Madjico-sima, se reconnaît, depuis l’année 1372, tributaire de la Chine. C’est un ambassadeur de l’empereur qui pose la couronne sur le front du roi des Lou-tchou ; mais, si la suzeraineté apparente est chinoise, la domination réelle est japonaise. Le culte, la langue, les mœurs, les habitations, tout porte le cachet du Japon. Malgré le mystère dont s’entoure cette influence, il est certain que le royaume oukinien n’est qu’une dépendance de la principauté japonaise de Sat-suma. Grace au double tribut qu’il consent à payer, ce paisible empire, autrefois ravagé par les troupes du Japon, depuis près de deux siècles ne connaît plus d’orages : mais, avant d’entrer dans cette période d’apathie et d’indifférence, il avait aussi ses jours d’expansion et d’activité. Le pouvoir partagé entre plusieurs princes, se concentra, vers la fin du XVe siècle, entre les mains d’un seul souverain, et le commerce prit soudain un rapide essor. Les jonques oukiniennes visitèrent les ports de Formose et du Fo-kien, les principautés japonaises, les côtes mêmes de la Cochinchine et du royaume de Patani, dans la presqu’île de Malacca ; ce fut la grande époque des îles Lou-tchou. La domination ombrageuse du Japon a interrompu ces relations fécondes, mais elle n’a point effacé complètement les traces d’une prospérité qui pourrait facilement renaître. La