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Je crois distinguer dans les Poésies de Joseph Delorme trois parts bien distinctes : la première appartient à l’étude du XVIe siècle, je veux dire à l’étude de la France pendant cette période érudite et ingénieuse, la seconde à l’école des lacs, à Coleridge, à Wordsworth, à Wilson, et la troisième enfin relève tout entière de l’ame du poète. Si je prends la peine d’établir cette triple distinction, ce n’est pas pour amoindrir la valeur poétique du recueil, mais bien plutôt pour en déterminer le vrai caractère. L’auteur, tout en demeurant lui-même, tout en maintenant l’originalité de sa pensée, a pourtant pris conseil, tantôt de Ronsard, de Baïf ou Du Bellay, tantôt de Coleridge ou de Wordsworth, comme s’il sentait que sa main encore novice a besoin d’être guidée sur le clavier, et ce double conseil lui a porté profit. D’ailleurs, malgré sa jeunesse ; — il, avait alors vingt-cinq ans, — l’érudition n’a pas engourdi chez lui la spontanéité de la pensée. M. Sainte-Beuve, dans les Poésies mêmes de Joseph Delorme, tout en modelant sa parole sur la parole des maîtres, a toujours su garder son caractère personnel. Ainsi les trois parties distinctes que j’ai indiquées dans ce recueil, tout en marquant la diversité des études poursuivies par l’auteur, sont pourtant dominées par un ton général de sincérité. Il n’y a pas une page qui ne porte l’empreinte d’un sentiment réellement éprouvé, et ne rappelle la devise de Montaigne : « . C’est avant tout un livre de bonne foi. »

Cette sincérité est à mon avis, le mérite le plus incontestable de Joseph Delorme. Les esprits sérieux, qui, sans dédaigner les questions de forme, mettent la pensée, le sentiment, c’est-à-dire la substance même de la poésie au-dessus de la rime de la césure et de l’enjambement, peuvent sourire plus d’une foi en voyant l’auteur lutter sans relâche avec Ronsard et Baïf, et s’efforcer de leur dérober tous leurs secrets. Il est permis de croire que dans cette joute poétique, M. Sainte-Beuve ne s’est pas toujours arrêté à temps. Au-delà de certaines limites, l’arrangement des mots, loin de servir au relief de la pensée en diminue volontiers l’importance. Le XVIe siècle ne paraît pas avoir deviné ce point délicat, difficile à marquer sans doute, mais dont la réalité ne saurait être contestée. Peut-être M. Sainte-Beuve a-t-il embrassé trop chaudement les doctrines de Ronsard sur le rhythme et la rime. À cet égard, je crois qu’il est aujourd’hui du même avis que nous. Quant à l’imitation des poètes anglais de notre âge, je suis loin de la blâmer. Cette imitation pratiquée librement est un utile exercice. Il y a d’ailleurs dans Coleridge et dans Wordsworth plus d’une, page qui peut se comparer, pour la grandeur et la pureté, aux plus belles pages de Byron. C’est pourquoi je pense que M. Sainte-Beuve a bien fait d’entretenir un commerce familier avec ces deux poètes, dont la renommée est si inférieure au mérite. À l’âge où il écrivait