profanes. M. Sainte-Beuve, par des citations bien choisies, accompagnées d’éclaircissemens ingénieux a mis le public à même de juger sur pièces. Il a franchement reconnu que Ronsard, malgré la richesse de ses rimes, malgré la construction savante de ses strophes, ne signifie pas grand’chose dans la poésie héroïque. Toutefois il n’a pas consenti à croire que les hommes les plus savans du XVIe siècle se fussent trompés grossièrement en proclamant le mérite de Ronsard. Il a cherché les raisons de leur admiration et les a trouvées dans leur prédilection pour l’antiquité. Ronsard, au lieu de traduire servilement les œuvres qu’Athènes et Rome nous ont laissées, ne craignait pas d’engager la lutte. Cette audace méritait d’être encouragée, et, bien qu’elle n’ait pas été couronnée d’un plein succès, nous devons excuser l’engouement des érudits pour l’auteur de la Franciade. M. Sainte-Beuve estime à sa juste valeur la tentative épique de Ronsard, et les lecteurs familiarisés par un commerce assidu avec la langue d’Homère et la langue de Virgile ne sauraient se montrer plus sévères que lui. Il n’hésite pas à déclarer que le poète vendômois ; en dehors des sujets voluptueux, est plutôt un ouvrier patient qu’un artiste inspiré. C’est le jugement que la postérité, plus indulgente que Boileau, consentira sans doute à ratifier.
La pléiade poétique dont Baïf et Du Bellay étaient les plus brillantes étoiles n’est pas jugée avec moins de sagacité. M. Sainte-Beuve ne s’abuse pas sur la valeur des pensées exprimées par ces poètes ingénieux. Il reconnaît volontiers que la forme l’emporte sur le fond. Quant au roman satirique de Rabelais, il en parle, dans un chapitre spécial, en homme qui a mûrement étudié son sujet et qui le connaît pleinement. Il explique très bien pourquoi il faut faire bon marché de toutes les clés proposées, par les commentateurs pour rattacher Pantagruel et Gargantua à l’histoire réelle de la France sous François Ier. Il comprend à merveille toute la puérilité de ces tentatives et n’hésite pas à s’en moquer. Rabelais, en effet, est le digne frère d’Aristophane, et s’il lui arrive plus d’une fois de prendre le thème de ses railleries dans l’histoire de son temps, plus souvent encore il laisse sa fantaisie errer librement. Celui qui voudrait retrouver dans Plutarque, dans Xénophon, dans Thucydide, la clé de toutes les comédies d’Aristophane que nous possédons entreprendrait une tâche impossible ; Gargantua et Pantagruel ne sont pas moins difficiles à expliquer que les Harangueuses et Lysistrata. Aristophane et Rabelais, en prenant la réalité pour point de départ, ont usé de leur imagination sans jamais songer à modeler leurs bouffonneries sur la réalité. M. Sainte-Beuve l’a très bien compris et très nettement déclaré.
Le seul reproche que mérite à mon avis le Tableau de la poésie française