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une ombre, il n’a pas su garder la sérénité de sa pensée. Tant qu’il n’aura pas franchi cette période d’agitation et de révolte contre les années envahissantes, il continuera de se réfuter. Qu’il s’apaise, qu’il accepte sans murmurer la vie que nous impose l’âge mûr, et il retrouvera sa bienveillance.

Les contradictions que je viens de signaler n’enlèvent rien à l’éclat de son talent, mais ébranlent son autorité. Bien qu’il soit en effet très naturel de modifier ses opinions à mesure qu’on vieillit, bien que chaque jour nous apporte un enseignement, ce n’est jamais sans péril qu’on déclare radicalement fausses toutes les idées qu’on a défendues. Le public s’habitue volontiers à douter de l’écrivain qui traite son passé avec tant de légèreté. Si M. Sainte-Beuve veut ressaisir le crédit légitime qu’il avait acquis par ses premiers travaux, il est temps qu’il se ravise. S’il persévérait dans la voie où il s’est engagé, malgré les œuvres solides qui ont établi sa renommée, il descendrait bientôt au rang d’homme d’esprit. Le public louerait son habileté à le divertir, mais refuserait de souscrire à ses jugemens. Un écrivain qui a conscience de sa valeur ne saurait hésiter. Que M. Sainte-Beuve se hâte donc de revenir à ses vieilles et bonnes habitudes : il perdra peut-être les applaudissemens des oisifs, mais il sera richement dédommagé par les applaudissemens de ses pairs et de tous ceux qui, depuis vingt ans, aiment à respecter sa parole.


GUSTAVE PLANCHE.