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un voyage aérien


jetée par M. Godard, fut saisie par quelques laboureurs, qui nous amenèrent sans secousse au milieu de leur champ, près du village de Bussy-le-Long.

Ce retour sur la terre restera comme un des plus doux et des plus poétiques souvenirs de ma vie. Il s’était accompli dans des conditions très favorables ; car nous n’étions qu’à une lieue de Soissons, et nous pouvions facilement gagner cette ville en nous faisant traîner par de longues cordes, à peu près comme on conduit les barques sur les canaux. Nous mîmes pied à terre pour remercier les habitans du pays, accourus en toute hâte et qui nous prodiguaient leurs offres de service. — Après une heure passée à répondre aux naïves questions qui nous étaient adressées, nous rentrâmes dans notre nacelle. – Il était complètement nuit ; pour nous, voyageurs aériens, le soleil avait lui long-temps après avoir cessé d’éclairer le globe. Quelques paysans s’attelèrent aux câbles et nous remorquèrent jusqu’aux portes de la ville, où je descendis à onze heures et demie. J’entrai dans un corps de garde ; les soldats ne furent pas médiocrement étonnés de la demande que je leur fis de remiser notre ballon. On me dit de m’adresser au commandant de la place pour obtenir la permission d’entrer dans la ville. Cette autorisation ne se fit pas attendre ; je courus la porter à mes compagnons, restés dans la nacelle. Je m’emparai de la corde qui flottait sur le devant de notre machine, et le ballon captif entra triomphalement dans Soissons en passant par-dessus les fortifications. La population dormait ; mais le bruit que nous fîmes en accrochant les cheminées dut émouvoir les bons. Soissonnais, peu accoutumés à de pareilles visites. Le ballon une fois établi sur la place d’Armes et remis aux mains de M. Godard jeune, les dégâts des cheminées payés à fort peu de frais, nous nous établîmes dans un hôtel, jouissant avec bonheur de la solidité du sol et de la liberté de nos mouvemens.

Cependant le projet d’un second départ avait été agité. Nous aurions tous voulu être de la partie ; mais M. Godard déclara qu’il ne pouvait accepter qu’un seul voyageur, car le ballon avait considérablement perdu de sa force ascensionnelle par l’humidité de l’atmosphère. Mes compagnons, m’abandonnant leurs droits, se mirent en quête d’une voiture pour atteindre le chemin de fer, pendant que j’écrivais à ma femme à Moscou et à mes amis à Paris. Cette nouvelle ascension au milieu de la nuit n’était pas, je l’avoue, sans une certaine solennité. Nous ne pouvions nous en dissimuler le danger. On comprend en effet que, dans une longue course, tous les agrès d’une frêle machine, où le poids et la matière doivent être strictement économisés, subissent une détérioration notable, et ont besoin d’être soigneusement rajustés et consolidés avant de reprendre leur service. En même temps, le gaz, devenu plus rare et diminué de volume, s’échappe insensiblement par les coutures