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troisième descente ; mais nous étions encore sous l’empire de l’enthousiasme, et la fièvre de l’extraordinaire nous dévorait. Nous partîmes donc après avoir reçu du maire de Cliron un procès-verbal concernant notre visite dans sa commune et l’heure de notre départ ; il était alors huit heures dix minutes. Nous nous élevâmes très rapidement ; le thermomètre marquait 17 degrés centigrades au-dessus de zéro. Nous revîmes les Alpes, moins éclatante qu’au lever du soleil. Tout à coup un rideau de nuage nous cacha la terre ; nous allâmes un peu à l’aventure, ignorant où le vent nous portait. En effet, malgré l’assurance de M. Le maire, dont les appréciations atmosphériques était un peu en défaut, nous voguions droit vers la Prusse.

Ne nous plaignons pas de la direction que le vent nous imprime, dis-je à M. Godard ; votre ballon va traverser les espaces où les plus ( ?) des aérostats, les dignes ancêtres du vôtre, ont noblement soutenu la mitraille de l’artillerie des armées prussienne et autrichienne. Nous somme ici sur le champ d’honneur des aéronautes ; un jour viendra peut-être où la France votera en leur mémoire un ballon momental.

Je racontai alors à M. Godard l’histoire des campagnes aériennes de l’intrépide Coutelle, qui fut nommé colonel des aérostiers de Sambre-et-Meuse. Coutelle avait rendu de notables services aux armées françaises en faisant servir son expérience d’aéronaute à des reconnaissance militaires. C’était en Belgique, à Charleroi, à Fleurus, à Namur, que la science aérostatique s’était le plus particulièrement signalée comme auxiliaire de la stratégie. Par l’attention que prêtait M. Godard à mon récit, je compris qu’il n’avait pas perdu, comme moi, de longues heures à se préparer à la navigation aérienne par l’étude de l’histoire spatiale de l’aérostation. J’avoue que j’étais quelque peu fier, moi, simple passager, d’avoir cet avantage sur mon courageur capitaine.

Nous planions au-dessus des nuages, qui se jouaient sous nos pieds comme un groupe de montagnes animées. Ces masses de vapeur nous semblaient lutter entre elles de vitesse et d’élasticité. Pendant que nous regardions du haut de notre observatoire ailé ces nuages filant avec la même rapidité que nous, nous eûmes un effet de mirage très heureux. Entre l’azur et les nuages, nous vîmes un ballon qui nous suivait. Il avait la forme et les proportions du nôtre, dont il était le ( ?) léger reflet. Un coup de vent, chassant les nuées, fit disparaître cette vision, et nous transporta au-dessus des frontières belges.

Notre vue ravie, embrassait alors à la fois les trois contrées limitrophes, la Prusse, la France et la Belgique. Nos yeux plongeaient avec avidité dans un panorama sans cadre, et nos regard hésitaient entre tous les sites pittoresques qui se présentaient sur notre passage. – Le long des fleuves, sur les hauteurs, nous remarquions de