Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/918

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé. Cette attention qu’ils donnent à leurs intérêts, naturellement liés aux intérêts généraux du pays, peut à coup sûr offrir des dangers chez des hommes peu instruits, et par conséquent faciles à égarer. En elle-même cependant, elle est un signe incontestable du mouvement qui élève les masses, et dont l’origine se mêle étroitement à toute notre histoire depuis soixante années. Qu’on réprouve ou non ce travail de la pensée, il existe ; il a pénétré jusque dans les entrailles de notre société industrielle. Voudrait-on le supprimer, on reconnaîtrait bientôt qu’il est assez puissant pour déconcerter tous les efforts. Tâcher d’éclairer les classes laborieuses et de mettre la vérité à la portée de leur esprit, étendre le rayon lumineux qui luit sur notre pays c’est la mission et ce sera, nous l’espérons, la gloire de ce siècle. Tant qu’aucune idée un peu générale n’a pénétré dans l’esprit d’une population, tant que la masse se laisse docilement conduire au travail sans s’interroger sur son rôle, l’ignorance est peut-être un moyen de domination ; mais, aussitôt que les hommes commencent à réfléchir sur la situation relative des différentes conditions sociales, le développement des intelligences et le développement du sens moral peuvent seuls assurer la paix dans la société. Il faut alors arriver à faire comprendre aux intérêts la raison des phénomènes sociaux.

En dernière analyse, malgré l’apathie flamande ; la population ouvrière de Lille s’habitue peu à peu à raisonner. « Si l’esprit de nos ouvriers n’est pas ouvert et prompt, me disait naguère un fabricant qui les a maintes fois entendus débattre leurs intérêts ; car il a fait partie pendant de longues années du conseil des prud’hommes de Lille, il ne résiste presque jamais à une explication un peu patiente. Quand un ouvrier a eu tort, on l’amène sans trop de difficulté à le reconnaître lui même. » Ce bon sens naturel n’a besoin que d’être dégrossi pour devenir un rempart contre des suggestions perfides. Les ouvriers lillois ont appris à leurs propres dépens que le désordre ne fait pas marcher le travail et cuire le pain du lendemain ; mais, si l’agitation a perdu du terrain, il y a toujours chez une partie de ces ouvriers des sentimens profonds de défiance à l’égard des chefs d’établissement : le bien même qui vient du patron est suspect. Pour activer la pacification des ames, un ancien manufacturier du département du Nord, dont les intentions bienveillantes envers les travailleurs de l’industrie reposent sur une profonde connaissance de leur état plural et physique, recommandait de s’occuper d’eux activement, mais sans le leur dire, de leur faire du bien constamment, mais sans chercher à s’en prévaloir. La défiance, on ne saurait en douter, s’évanouirait peu à peu devant l’application d’un pareil programme, qui compte d’ailleurs à Lille même d’énergiques et puissans adeptes, et peut opposer déjà des résultats acquis aux exagérations du socialisme.