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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/947

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voulaient commander à la France. Pendant que le scrutin de liste envoyait en masse à l’assemblée constituante les représentans de telle opinion ou de tel compromis qui n’avait qu’une raison d’être éphémère ou factice, les élections cantonales restaient ou devaient bientôt redevenir un moyen précieux pour les populations d’investir d’une confiance personnelle ceux qu’elles estimaient les plus capables de la justifier. Le député du canton, choisi sur les lieux mêmes, nommé par ses voisins, sans cesse en rapport avec eux, s’est vu de la sorte un personnage très différent des représentans du peuple, proclamés plus ou moins à l’aventure par le département tout entier, et délégués par fournées pour venir se perdre dans le tourbillon parisien. L’importance de l’élu cantonal s’est singulièrement accrue par ce contraste, qui était certes beaucoup moins sensible lorsque le député était élu, dans l’arrondissement. Le député était alors, même sous l’empire du suffrage des censitaires, beaucoup plus près de ses commettans qu’il ne l’est aujourd’hui ; l’esprit positif et l’esprit politiqué s’unissaient plus facilement pour choisir leur organe. Le grand reproche qu’il fallait même adresser à cette organisation du suffrage par le privilège du cens, c’est que l’esprit positif primait trop dans l’urne l’esprit politique, et que le patriotisme de clocher pouvait parler là quelquefois plus haut que l’autre. On assiste maintenant à un spectacle tout contraire : l’esprit général, l’opinion courante, dans un de ses élans, souvent même dans un de ses biais, dicte la loi au centre du département ; l’esprit positif des localités n’est plus guère admis à partager. C’est pour cela qu’il prend sa revanche dans les conseils sortis, individu par individu, des subdivisions cantonales ; c’est pour cela qu’il s’exprime avec plus d’effusion et qu’il est plus écouté que jamais : c’est que, comme on lui a refusé satisfaction ailleurs, il s’empare plus hardiment, et avec plus d’autorité, de l’issue qu’on lui a laissée.

Ce n’est pas seulement par son origine, par la manière dont il est désigné, que le mandataire politique se trouve aujourd’hui trop à distance de ceux qui lui ont donné leurs vois : c’est par la carrière qu’il est presque invinciblement obligé de fournir. Cet esprit général qui l’a nommé, qui l’a imposé, comme nous le disions tout à l’heure, n’a pas précisément une simplicité primitive : il faut bien se figurer comment les choses se passent. Quelques personnes notables, très occupées des questions de partis, se réunissent en comité au chef-lieu du département ; elles correspondent avec quelque comité supérieur dont le mot d’ordre leur arrive, dont elles arborent le drapeau ; on discute les noms ; on s’explique sur les nuances, on réglemente les professions de foi, on transige quand on ne peut mieux, et on lance son candidat. Le candidat est ainsi au préalable engagé dans une ornière d’où il ne se tire point sans beaucoup de peine, si même il n’arrive pas, ce qui est le plus fréquent, qu’il ait le goût d’y rester. Il appartient plus ou moins par reconnaissance filiale à la coterie (soit dit dans le meilleur sens) qui l’a pris sous son patronage, et, sauf les positions supérieures ou les caractères indépendans, avec lesquels on est toujours réduit à compter, il reçoit une direction qui ne lui laisse pas beaucoup de latitude. Une fois qu’il est entré au palais législatif, son chemin, la plupart du temps, semble encore se rétrécir. Ce morcellement de l’opinion que nous déplorons toujours est peut-être plus marqué dans l’assemblée qu’au dehors. On croirait que le point de vue politique se resserre à mesure qu’on s’élève plus haut dans