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institutions issues du catholicisme pur, assises à l’ombre de l’église, sont l’unique refuge efficace pour la société menacée. — Sans doute, les politiques sacrées ont leur grandeur quand elles ont leurs racines dans un état donné de civilisation ; mais y revient-on ainsi pour faire honneur aux théories ? Ne serait-ce pas simplement tenter de refaire le passé que Dieu lui-même ne refait pas ? Il y a donc pour nous une nécessité invincible, — en obéissant à ce souffle religieux qui s’élève dans plus d’une ame de notre temps, en secondant ces retours qui se manifestent en faveur de l’idée d’autorité, — de ne point identifier ces tendances avec tel on tel mode d’existence du passé, tel ou tel régime évanoui. Cette nécessité parle d’autant plus haut lorsqu’un événement comme la révolution française est venu tracer une ligne de feu entre le passé et le présent et transformer toutes les questions. Les écoles mixtes dont M. Donoso Cortès discute les titres avec une force remarquable ont dû long temps leur ascendant sur l’instinct qu’elles avaient de cette situation générale ; elles ont été emportées, et si elles n’avaient contre elles que leur insuccès, ce ne serait pas un motif suffisant de sévérité : l’histoire est pleine des défaites des causes justes.

L’erreur de ces écoles n’a point été de croire que 1789 devait être le germe d’essais nouveaux, d’institutions élargies, de progrès à poursuivre dans l’ordre social et dans l’ordre politique ; leur erreur a été d’essayer quelques-unes de ces grandes et légitimes choses avec des idées révolutionnaires, ou du moins avec de singulières condescendances pour l’esprit de révolution. Quand elles ont travaillé à la sécularisation de la société, elles en ont trop souvent fait le prix de l’abaissement du principe religieux : elles n’ont point aperçu qu’en agissant ainsi, elles allaient en sens inverse de la nature des choses, que plus une société s’émancipait dans sa vie politique et civile, plus il était nécessaire que le principe religieux eût tout son empire sur les aines, et les contînt par la discipline intérieure. Quand elles se sont attachées au gouvernement constitutionnel, elles l’ont fondé - sur quoi ? — sur les infatuations des tribunes et des journaux, sur une sorte de déification de la parole considérée en elle-même et pour elle-même, — et ici encore elles n’ont point vu que cette perpétuelle mise en question de toutes choses par la parole, ces discussions universelles étaient les piéges des gouvernemens libres, par où ils perdaient leur énergie morale et tombaient dans la stérilité et l’énervement. Nous avons eu d’admirables luttes d’éloquence, des discours et des polémiques de quoi alimenter tous les peuples en révolution ; les hommes d’état eux-mêmes croyaient agir quand ils parlaient, et, tandis que notre Moniteur s’enflait glorieusement chaque année en signe de progrès, l’Angleterre qui a bien, elle aussi, un gouvernement constitutionnel, mais qui le comprend autrement, — les États-Unis qui sont bien, eux aussi, un pays libre, mais où l’instinct de liberté s’allie au vieux sentiment puritain, — ces deux grands peuples surprenaient le monde par leur puissance d’action. Tandis qu’ils conquéraient des continens, nous pesions gravement dans nos balances le destin de quelques fonctionnaires-députés, nous faisions la théorie des ministres désagréables au souverain, et nous passions maîtres dans l’art des coalitions parlementaires. Sans manquer de justice pour les écoles libérales, on pourrait dire qu’elles ont passé leur vie à élever un édifice conservateur en y logeant à chaque étage ou en y laissant pénétrer sous mille figures l’esprit révolutionnaire, — si bien que ce redoutable esprit s’est trouvé un jour le maître du logis, presque sans lutte