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Qu’on imagine un nez très long, courbé sur une bouche édentée surmontée de quelques poils mal teints, un œil éraillé, mais vif et spirituel, un geste brusque, un air fin, ou plutôt rusé, et on aura l’exact portrait de ce singulier personnage. Ce petit vieillard encore vert était comme un Persan, vaniteux à l’excès, de plus poète et beau parleur. Hadji-Mirza-Agassi avait trop d’esprit pour ne pas comprendre la supériorité européenne, mais il était trop fanatique pour la reconnaître. Il était d’un caractère trop faible, ou son ame était trop vénale pour ne pas subir les influences étrangères, quand elles apparaissaient sous la forme de menaces ou de présens. Il était, du reste, ignorant de tout ce qui n’était pas la lettre du Koran, et donnait presque tout son temps aux exercices d’une étroite dévotion. Il n’en avait pas pour cela moins de prétentions à connaître les affaires ; son ambition était de paraître ne rien ignorer, et, chose remarquable pour un prêtre, il se donnait surtout pour un artilleur consommé. Aussi avait-il voulu se conserver les fonctions de grand-maître de l’artillerie.

Notre visite à Hadji-Mirza-Agassi fut courte ; sa conversation n’était guère de nature à détruire les préjugés peu favorables à sa personne qui nous dominaient avant cette présentation. L’ignorance du mollah se trahissait chaque fois qu’il s’écartait des lieux communs de politesse pour toucher aux sujets un peu sérieux. Nous avions peine à garder notre gravité en voyant ce petit homme commenter ses paroles par des gestes grotesques et donner à chaque instant des coups de poing à son bonnet, qu’il mettait ainsi de travers dans un sens ou dans l’autre. Cette pantomime singulière signifiait, selon les dispositions du personnage, la colère ou l’admiration. Le hadji nous fit d’ailleurs un accueil excessivement flatteur, en ajoutant force thé et gâteaux épicés à ses paroles aimables.

En sortant du palais de Hapht-Dest, nous traversâmes le camp royal. Il était disposé autour de la demeure du châh, sur la rive droite du Zendéroûd et en face de la ville. Les tentes des soldats étaient alignées avec un ordre tout militaire, suivant l’arme ou le régiment auquel ils appartenaient. Quelques tentes plus grandes et plus belles servaient de résidence aux ministres, aux officiers de la maison du roi et à tous les khâns ou généraux qui faisaient partie de sa suite. L’aspect de ces troupes était très martial ; le service se faisait militairement et à l’européenne. L’artillerie avait ses canons rangés en bon ordre et gardés par des factionnaires, le sabre au poing. Les chevaux étaient attachés derrière, au milieu des tentes, à des mangeoires qu’on avait construites très habilement et à peu de frais avec de la terre détrempée. La cavalerie se tenait derrière l’artillerie. À la gauche, du côté du palais où était le châh, l’infanterie avait dressé ses tentes sous les arbres. Les régimens se distinguaient les uns des autres à la couleur de l’uniforme. La garde du roi, en habits rouges, avait le premier rang ; puis ve-