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de déclaration positive. Toutefois il n’hésitait pas à raconter des faits que l’auteur des lettres semblait seul pouvoir connaître. Selon lady Francis, son mari, se voyant traiter comme un simple commis, privé d’espoir de promotion, négligé même par lord Chatham, écrivit ses lettres ; la première suffit pour fixer sur lui l’attention, et après qu’il eut répondu en maître à sir William Draper, un nouveau et puissant allié lui vint en aide. Cet allié, elle ne l’avait pas nommé à lord Campbell ; elle le nomme à M. Wade : c’est lord Chatham. Elle ne sait s’il connaissait l’auteur ; mais qu’il lui fît arriver des renseignemens, que même quelques lettres aient, avant l’impression, passé sous ses yeux, elle n’en doute pas. Cependant sir Philip ne l’a jamais nommé, il était évidemment engagé sur son honneur au secret ; mais il ne donnait à personne de complet démenti. Il avait écrit: « Seul je suis dépositaire de mon secret ; il périra avec moi. » pour tenir cette parole, il se permettait les évasions nécessaires. Ainsi, comme on lui disait que Burke était Junius : « Très probablement, » répondait-il. Telle était encore sa réponse à l’éditeur du Monthly Magazine. « Il n’y a que les sots qui pourraient y trouver un désaveu, » aurait-il dit à sa femme. Il voyait sans impatience les efforts tentés pour le découvrir, lorsqu’ils n’aboutissaient pas à des interpellations personnelles. Il aimait à être soupçonné, pourvu qu’il ne fût pas convaincu. Il craignait les questions directes et voulait éviter les mensonges formels. Lorsque parut le second ouvrage de Taylor, il fit rayer son nom de la liste du club de Brooke, dont il était un des fondateurs, apparemment pour échapper à l’inquisition dont il allait devenir l’objet. Il avait eu soin de détruire tout manuscrit de Junius, et à la mort de Calcraft, il s’était fait rendre, pour les détruire également, tous les papiers qui l’intéressaient ; mais le premier présent qu’il fit à sa femme après son mariage était un exemplaire de Junius, avec prière de ne le pas laisser voir, et après sa mort, on trouva dans son bureau un Junius identified de Taylor, enveloppé, scellé et adressé à lady Francis. Enfin la conviction de celle-ci paraît entière, et, selon M. Wade, une opinion conforme est professée par le fils de sir Philip.

Tous ces faits paraissent donner à ses droits une grande apparence de certitude. Tout au moins doit-on admettre qu’il n’a rien négligé pour laisser s’accréditer l’opinion qui le désignait. C’est assurément la plus répandue. Cependant le doute subsiste, et dans la croyance générale, la question ne passe point pour irrévocablement résolue.

D’abord on a remarqué que les témoignages accumulés en faveur de Francis pourraient s’accorder avec une opinion intermédiaire qui a été bien des fois soutenue. Les lettres de Junius pourraient ne pas être d’une seule main. Les autres lettres qui les complètent, et que l’éditeur y a réunies, les rappellent plutôt qu’elles ne les égalent.