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de visions extatiques de joie et de bonheur qui feront inévitablement place aux sensations les plus déprimantes de l’horreur et du désespoir. » Ce passage semblera peut-être une preuve que l’écrivain lui-même n’était pas excellent connaisseur en l’art d’écrire. Nous avouons que l’absence de titres bien établis sous ce rapport manque à lord George Sackville, et cette lacune est grave. Cependant l’objection ne paraît pas avoir touché beaucoup Charles Butler, le docteur Parr, John Foster, qui sont eux certainement des juges compétens en matière de littérature, et du vivant de lord George on ne voit pas que personne ait trouvé invraisemblable qu’il écrivît aussi bien que Junius. Il est certain que ses contemporains avaient de lui la plus haute idée. C’est l’Agamemnon du jour, dit une fois lord Chatham. Il est d’ailleurs remarquable que, dès l’apparition des premières lettres, lord George ait été soupçonné. Lors de la querelle avec sir William Draper, un certain Titus y intervint et envoya au Public Advertiser une lettre où on lit : « Vous savez, Junius, que Granby sait obéir,… qu’il ne discute pas les ordres de ses supérieurs,… qu’il n’a pas eu peur de conduire la cavalerie à Minden. » Titus, évidemment, croyait parler à Sackville. Aussitôt, Junius irrité joint à sa cinquième lettre ce post-scriptum : « J’ai résolu de laisser le commandant en chef jouir en paix de son ami et de sa bouteille ; mais Titus mérite une réponse, et il l’aura complète. » Cette réponse ne parut jamais. En y réfléchissant mieux, Junius se tut. Comment expliquer ce silence ?

À défaut des styles, on voudrait pouvoir comparer les écritures. Les spécimens de celle de sir Philip Francis ont donné lieu à des rapprochemens qui sont presque des preuves. Ces preuves ont même servi à faire de Francis un secrétaire de Sackville, hypothèse que rien ne contredit absolument ; mais aucun billet de la main du dernier n’a été produit, pas même par M. Good, ni par les Woodfall, que Sackville avait eus pour imprimeurs lors des publications qu’il fit pour son procès. On prétend toutefois que son écriture ressemble à celle de Junius, qui d’ailleurs n’a rien d’original, et qui rappelle plusieurs écritures du temps. Foster a demandé vainement, il y a trente-huit ans, qu’on fît connaître la main de lord George, et quand M. Coventry s’adressa au dernier duc de Dorset pour obtenir des lettres de son père, sa grâce lui répondit qu’elle n’en avait aucune. Elle ajouta que lord Sackville était un homme bien injustement traité. On appréciera ce que vaut cette réponse. Lord Delawarr, qui a épousé la fille du duc de Dorset, et qui seul représente aujourd’hui cette maison, pourrait sans doute donner aux futurs critiques un peu plus de satisfaction.

M. Jaques, à qui nous avons emprunté presque toutes ces observations, en ajoute bon nombre d’autres qu’on peut voir dans son livre : une seule doit encore être relevée. Lord George Sackville haïssait lord