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essais, et une facilité d’imitation qui gâte souvent un talent réel. Il y a en général, dans les œuvres des poètes cubanais comme dans le milieu social où elles se produisent, plus d’imagination que de profondeur, plus d’éclat extérieur que de puissance, (dus de grâce que de caractère moral, plus de mouvement que de cohésion. « C’est, dit un critique cubanais, la littérature d’un pays sans histoire et sans monumens, doué d’une nature poétique et abondante en scènes merveilleuses, où les sciences et les beaux-arts naissent à peine, et où le spectacle des mouvemens intellectuels de l’Europe a le prestige fascinateur de la distance. » Un trait commun à tous ces poètes d’outre-mer, c’est l’amour inviolable de la « chère Cuba, » — amour qui chez quelques-uns se transforme en une sorte de conjuration contre l’Espagne. Les vers du malheureux Heredia, le plus renommé de tous, l’auteur d’une ode célèbre sur le Niagara, ne sont autre chose que des plaintes hyperboliques, des exaspérations éloquentes d’imagination contrôle maître espagnol. Plusieurs morceaux d’Heredia, — l’Hymne du Proscrit, une épître à un ami exilé pour opinions politiques, le Génie de la Liberté, l’Etoile de Cuba, — forment tout un poème passionné et violent qui n’a point été imprimé à Cuba, mais qui court manuscrit et va enflammer les cœurs. C’est une invective ardente qui s’épanche… « Me voilà libre enfin, dit le poète dans une pièce à Emilia ; me voilà éloigné de maîtres et d’esclaves. Mais, Emilia, quel changement cruel ! le vent d’hiver souffle furieux ; sur ses ailes, une gelée aiguë vole et dévore le sol desséché. Une nuée épaisse couvre le soleil et ferme le ciel qui va se perdre à l’horizon douteux dans la mer sombre. Les arbres dépouillés gémissent. Aucun être vivant dans les campagnes ; partout la solitude et la désolation. Est-ce donc là le séjour que je dois avoir en échange des champs lumineux, du ciel pur, de la verdure éternelle et des brises balsamiques du climat sous lequel mes yeux se sont ouverts à la lumière dans la douceur et la paix ?… Qu’importe ?… Mes yeux ne verront plus s’agiter la cime du palmiste dorée des rayons du soleil couchant. Mon oreille, au lieu de ton accent enchanteur, n’entend plus que les sons barbares d’un idiome étranger ; mais au moins elle n’entendra pas le cri insolent du maître, ni le gémissement des esclaves, ni le sifflement du fouet, tous ces bruits qui empoisonnent l’air de Cuba !… » — Le sentiment qui circule dans ces vers est sincère, mais c’est l’émotion d’une ame ulcérée et outrée plutôt que véritablement libre, qui s’exalte dans la solitude et fait d’une colère imprévoyante sa muse favorite. Heredia n’est pas proprement un poète révolutionnaire. Ses vers sont l’expression idéale et enflammée de ce vague instinct d’indépendance qui fermente dans le cœur de la jeunesse cubanaise.

Le poète le plus essentiellement révolutionnaire de Cuba, c’est