Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1046

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans tous ses rapports, une bienveillance et une générosité remarquables. Ses attentions pour les Européens étaient tout-à-fait délicates ; elles révélaient, outre un esprit juste et fin, de véritables qualités de cœur. Parmi les traitans du pays, il est peut-être le seul qui n’ait jamais consenti à autoriser les sacrifices humains de sa présence. Dans un état tel que le Dahomey, dans une position telle que celle de M. de Souza, cette protestation fut vraiment courageuse. Quand il est mort, on s’est aperçu qu’il était fort endetté. Ce seul fait doit suffire pour assurer le maintien des croisières destinées à la suppression de la traite. En ruinant M. de Souza, elles ont montré toute leur efficacité. Le roi de Dahomey a classé arbitrairement les créanciers de ce traitant en deux catégories : ceux qui seront payés et ceux qui ne le seront pas. Ces derniers sont précisément les marchands d’esclaves indigènes et étrangers. Explique qui pourra ce caprice d’un souverain qui fait lui-même en grand le commerce des esclaves. Quelle qu’en soit l’origine et l’objet, il est impossible de regretter que le roi Guezo ait fait usage de son pouvoir absolu pour priver les négriers de bénéfices mal acquis; mais il n’a pas eu l’intention de les décourager par cette banqueroute. Ce n’est qu’une prime qu’il a jugé à propos de lever au profit des héritiers de M. Souza sur les gains du commerce qu’il patrone et qu’il alimente. Aussi les trafiquans d’esclaves du Dahomey n’ont-ils été nullement déconcertés : ils continuent leurs opérations; après la mort de l’Alexandre des négriers, tous ses généraux se sont partagé son empire. Parmi les plus riches et les plus heureux, M. Jose-Martin Domingo se distinguait l’an dernier.

Les traitans de Whydah sont généralement Brésiliens, Portugais ou Espagnols; mais il en est aussi qui appartiennent à la race indigène, et qui font de fort bonnes affaires en vendant leurs frères comme les fils de Jacob. En 1850, on en comptait cinq qui s’étaient enrichis dans ce trafic, et qui y déployaient une intelligence et une activité rares chez les individus de cette origine. M. de Souza était un négrier de vieille souche, et qui faisait son commerce à l’ancienne mode. Ses successeurs comprennent tout autrement la gestion des affaires. Avec le scepticisme des commercans du XIXe siècle, ils mènent de front les opérations du négoce licite et celles du trafic illégal : d’une main, ils reçoivent les profits de la traite, et ils tendent l’autre pour encaisser les gains de la troque. Leur barracon est à la ville, et à la campagne ils ont leurs plantations. Là, ils parquent les esclaves, et ils les marquent à leur chiffre, avec un fer chaud, comme un bétail; ici, ils cultivent innocemment les graines oléagineuses, telles que l’arachide; ils plantent des palmiers à la noix huileuse, et ils préparent un fret honnête pour les navires marchands de France et d’Angleterre.

C’est une heureuse transformation; c’est un grand pas de fait vers